Le témoin

La belle histoire de Sellouki, dernier buteur au Vélodrome

Le grand football est fait de petites histoires. Celle de Malik Sellouki, dernier buteur niçois au Vélodrome, en fait partie. Un an après l’ultime voyage en Provence, il était impossible de passer à côté…

18 février 2021. 87ème minute de jeu. L’espoir renaît avec, en guise de flambeau, le pied gauche délicieux d’un joueur sous licence amateur. À la réception d’un ballon limpide de Gouiri, Sellouki fait mouche. En une touche. Premier poteau. « Franchement, si elle me revient, je ne suis pas sûr de la remettre… » Au bout du fil, Malik s’amuse, comme s’amusent ceux qui touchent la cloche au moment où sonne l’heure du kaïros. « Je ne m’attendais pas du tout à entrer, se remémore le milieu offensif. C’était mon 3ème banc. J’étais sans pression. Il n’était même pas prévu que je m’échauffe… Et là, tout s’accélère. On me dit d’y aller et au bout de 5 minutes, boom, Rony Lopes sort, le coach me lance. Je ne réalise pas, je n’ai même pas le temps de réfléchir ou d’avoir la pression. »

C’est peut-être « ce manque de temps » qui lui permet d’entrer léger comme un oiseau. Ou peut-être est-ce l’idée qui lui traverse l’esprit au moment de ses premières foulées : « Tu viens de loin, tu n’as pas grand-chose à perdre et peut-être que tu ne rejoueras plus jamais en L1, alors fais toi plaisir ! »

« Forcément, il y a eu quelque chose de différent »

Quel que soit le motif, Malik débute en L1 comme s’il était entré au « five », où sa technique et son pied gauche firent autrefois des ravages. Il se retrouve même en duel direct avec Jordan Amavi, qu’il a déjà rencontré dans « la cage » des 5 vs 5, ou dans le cabinet de Christian Della Monica, son conseiller, qui fut en son temps l’adjoint de Guy Mengual à la tête des U19 rouge et noir vainqueurs de la Coupe Gambardella en 2012. Nous jouons alors la 77ème minute et Nice accuse deux longueurs de retard sur son voisin. Les dés semblent jetés alors que, paradoxalement, les Aiglons ont durci le ton au retour des vestiaires, dans le sillage d’un Amine Gouiri buteur d’entrée de second acte. Après même pas 10 minutes au Vélodrome, Sellouki se couche sur un centre au deuxième poteau, et trompe Mandanda : «J’aurais aimé me faire huer sur ce but, mais malheureusement, les tribunes étaient vides à cause du Covid», se marre le membre de la Selecioun, « en tout cas, il a eu le mérite de relancer le match. Derrière, on aurait même pu mettre le 3-3, mais Amine touche le poteau en toute fin de match. Dommage, ça aurait été beau... » 

Effectivement, la révolte tardive n’aura débouché sur rien. Du moins collectivement, car à l’autre bout de la région PACA, le clan Sellouki est en fusion. « Je ne vais pas te dire que tout a changé pour moi après ce but, avoue le joueur. Mais forcément, il y a eu quelque chose de différent. Surtout quand tu repenses à tout ce qui s’est passé avant et à ce qui se passe aujourd’hui. »

L’avant en question ? Un parcours cabossé, comme on en fait beaucoup en amateur et peu au plus haut niveau. Des débuts à Saint-Sylvestre, un passage au Cavigal, en sports-études à l’AS Cannes, en 17 et 19 DH à Monaco, puis de nouveau à Cannes, dans le groupe N3, et parfois dans la réserve qui évolue au niveau départemental. À l’été 2020, Sellouki, étudiant à la Fac de Sports, se pose des questions. « Je croyais encore un peu à une carrière pro, mais j’étais réaliste, analyse-t-il aujourd’hui. Je voulais aller le plus haut possible, mais ça paraissait dur. » 

« Si tu continues comme ça, merci et ciao »

Les portes se referment au nez de celui qui possède alors le statut sénior. Sauf celle du Gym, où Manu Pires lui accorde sa confiance après un essai concluant : « C’était ma dernière chance, sinon il aurait fallu penser à autre chose. » Au cours de la première moitié de l’exercice 2020-21, l’ailier enchaîne les bonnes performances avec la réserve niçoise, malgré l’interruption précoce du championnat liée à la pandémie, et dispute même une mi-temps avec les pros, lors d’un amical face à Monaco. « Je pensais que c’était bien, mais ce n’était pas assez pour Manu Pires, explique-t-il. Juste avant les vacances d’hiver, il m’a mis un vrai coup de pression : « On ne dirait pas quelqu’un qui vient de l’extérieur. Si tu continues comme ça, à la fin de saison, ce sera merci et ciao ». Clair et précis. Il fallait en faire plus ». « Je me rappelle très bien cette discussion, complète de son côté le directeur du centre de formation niçois. Il faut toujours se demander où on place l’exigence. À partir du moment où un garçon se satisfait d’être le meilleur buteur de la réserve, c’est insuffisant. Les joueurs doivent toujours aspirer à plus et nous, notre objectif, c’est de les voir en pro. Il ne faut jamais l’oublier. »

Cette mise au point a le mérite de secouer le milieu offensif. Ou du moins de le piquer. À son retour des vacances, il ne quittera plus le groupe pro, et apparaîtra lors de 3 autres rencontres de L1, face à Metz, Dijon et Strasbourg. 

En course pour la Ligue des Champions

Ces six mois tout en haut changent tout. Dans leur sillage, l’enfant de Nice-nord s’engage à Maribor. Il signe, cette fois, son premier contrat pro, dans le plus grand club de Slovénie.

 

Huit mois après, il a disputé 14 rencontres avec l’actuel leader du championnat, en course pour les barrages de la Ligue des Champions, et y a inscrit 1 but, de son pied gauche ciselé dans la soie. 

 

« Il n’était pas prédestiné à ça, reprend Manu Pires. Mais il est revenu, a gagné du crédit au fil du temps, auprès de ses coéquipiers du centre, du staff du centre, puis du staff pro et, enfin, des joueurs du groupe pro. Tout ça grâce son état d’esprit exceptionnel, son investissement et son humilité. Il y avait un gros travail à faire pour qu’il acquière les qualités requises pour un joueur de haut niveau. Mais il est encore jeune dans monde pro et il a donc une grosse marge de progression. » « Oui, j’espère que ce n’est qu’un début, répond l’intéressé. J’ai signé pro, ce qui est magnifique, mais maintenant je dois confirmer. Je suis bien placé pour savoir que tout va très vite. Il y a deux ans, je n’avais pas de club, maintenant, nous sommes à la lutte pour un titre et je peux me retrouver à jouer une Coupe d’Europe… Ce n’est pas rien, beaucoup aimeraient être à ma place. Sans le Gym, je sais que ça ne serait sûrement pas arrivé. » 

Cette dernière phrase appelle une conclusion. Alors, comme au Vélodrome il y a un an, lorsqu’il n’était qu’un amateur dans la cour des grands, Sellouki conclut avec sérénité. « L’OGC Nice, c’est le club où j’ai toujours voulu jouer, le club de la ville où je suis né, de la ville de mes parents, de ma ville de cœur. Je remercie le club de m’avoir offert cette possibilité. Ça a été une fierté de jouer ici en L1. »


C.Djivas