Coupe 1954

Antonio, mémoire vivante

Du haut de ses 92 ans fêtés le mois dernier, Émile Antonio est le plus ancien vainqueur de la coupe de France 1954 encore en vie. La mémoire d’une période faste pour l’OGC Nice : les « fifties ». Cette décennie faite de titres et de domination sur le football français, au cours de laquelle certains des meilleurs footballeurs portaient la tunique rouge et noire. Just Fontaine, Joseph Ujlaki, « Pancho » Gonzalez et tant d’autres… Tous ont été des camarades de jeu d’Antonio lors d’un exercice 1953/54 qui s’achèvera par « le meilleur moment » de la carrière du milieu de terrain. Source inépuisable de souvenirs et d’anecdotes, il s’y replonge avec passion, 66 ans après, pour OGCNICE.com, en ce jour anniversaire de la victoire contre Marseille.

Une tête plongeante de Victor Nurenberg, une frappe placée de Luis Carniglia, une fin de match héroïque et le Gym s’offre la deuxième Coupe de France de son histoire. Printemps 1954, alors âgé de 26 ans, Émile Antonio clôt en beauté son unique saison sur la Côte d’Azur. Titulaire au stade olympique Yves-du-Manoir de Colombes, il participe alors à écrire la grande histoire du club Rouge et Noir. Sa « plus belle émotion à l’OGC Nice », reconnaît encore aujourd’hui sans sourciller le plus ancien témoin encore en vie* de cette finale triomphante : « Je me souviens que la deuxième mi-temps avait été plus difficile pour nous. Pancho (Gonzalez) réussit un ciseau sur la ligne de but dans les derniers instants pour éviter d’être à 2-2 ».

Le souvenir du succès sur l’OM (2-1) est encore bien frais mais, à son évocation, c’est un autre moment qui remonte en premier à l’esprit d’Antonio : celui du retour à Nice, de la célébration et de « la belle fête avec Joseph Ujlaki ». Un moment qu’Antonio aime se remémorer : « Pendant une semaine, nous étions invités dans les hôtels de Nice pour célébrer. Avec Joseph, je me souviens qu’on jouait au football dans les couloirs avec les chaussures qui attendaient de passer au cirage. On a mis le bazar. »

8 années plus tôt, le parcours d’Émile Antonio débute dans le village de La Combelle, dans son Auvergne natale. Le jeune Émile grandit entouré de ses 7 frères et soeurs partagés par deux passions : « Mes grands frères Raphaël et José jouaient déjà au football, les autres jouaient de la musique ». Émile, 5ème garçon de la fratrie, penche plutôt pour le ballon et intègre La Combelle Charbonnier Association.

Recruté en 1950 par le FC Sète, Antonio se rend à Paris en 1953 alors que son club, miné par des problèmes financiers, cherche à vendre 5 joueurs et que le RC Paris se montre intéressé. Si son coéquipier et ami Stanislas Curyl s’engage pour le club de la capitale, Antonio fait une rencontre qui bouleverse ses plans et l’emmène à plus de 900 kilomètres de là : « Le président de Nice me fait signe de le suivre et me propose de le rejoindre. J’ai signé au Gym comme ça ».

Dans la capitale du Comté, Émile Antonio trouve rapidement ses marques. « Je jouais inter*. J’étais donc plutôt un joueur offensif mais je me débrouillais aussi défensivement ». Un joueur porté vers l’attaque et au fort tempérament si bien qu’il refusera plusieurs fois d’intégrer l’équipe de France A à cause d’une vieille rancune contre Raymond Kopa : « Je jouais encore au FC Sète. Mon entraîneur me demande de bien serrer Kopa. Je n’étais pas très grand mais j’étais assez physique et, à la mi-temps, Kopa me crache dessus en rentrant aux vestiaires. Je l’ai recroisé deux années plus tard et je me souviens l’avoir fait voltiger au-delà du terrain », s’amuse-t-il.

Au contraire, les relations avec ses coéquipiers au Gym sont excellentes et Antonio se lie d’amitié avec deux d’entre eux : « Je m’entendais très bien avec Joseph Ujlaki, l’un de mes meilleurs amis dans le football et avec Just Fontaine avec qui je suis encore en contact. Dans un premier temps, Fontaine (de 5 ans son cadet, ndlr) était mon remplaçant à Nice... »

En 1954, Antonio quitte le Gym pour Lyon où, après 7 ans il termine sa carrière professionnelle. Il poursuit quelques années à l’AS Montferrand puis comme entraîneur-joueur chez lui à La Combelle. Sa fin de carrière et son entreprise de serrurerie l’éloignent petit à petit d’un football qu’il trouve profondément changé : « Le football d’aujourd’hui laisse plus de place aux coups. Et les rapports entre les joueurs et les arbitres sont très différents de mon époque », regrette-t-il. Malgré tout, l’OGC Nice garde une place à part dans son cœur et il se plaît à regarder certaines rencontres du club. Celle du 23 mai 1954 restera gravée à tout jamais : « J’ai déjà revu plusieurs fois la finale. Et ici, à La Combelle, on a beaucoup d’archives dans lesquelles je me replonge ». De quoi conserver intacts les souvenirs de sa plus belle émotion en Rouge et Noir.

Michel Saad

Aiglon pour toujours

Distendu par plus de six décennies loin de Nice, le lien a pu être retissé ces dernières semaines. Sa trace a été retrouvée dans le Puy-de-Dôme par Michel Oreggia, historien du Gym. L’aide précieuse de Lisbeth, la fille du milieu de terrain, a fait le reste. Ces « retrouvailles » ont donné lieu à cette interview. Et à ces émouvantes photos envoyées quelques jours plus tard sitôt qu’il reçut du club son premier maillot rouge et noir floqué à son nom**. Il n’a pas oublié Nice. Et Nice ne l’a pas oublié.

* Poste aujourd’hui disparu, l’inter correspondrait à un positionnement entre l’ailier et l’avant-centre dans le football contemporain

** Les noms des joueurs n'ont commencé à être floqués en France sur les maillots qu’au milieu des années 90.