Le témoin
Bodmer, ses souvenirs de derbies
Il les a quasiment tous disputés sur le territoire. Ces matchs si particuliers, ces morceaux d'histoire. A 33 ans, Mathieu Bodmer a croqué dans les derbies les plus chauds de l'hexagone tout au long de sa carrière. De ses premiers pas à Caen au derby qui se profile face à Bastia (coup d'envoi vendredi à 20h30), le capitaine du Gym a accepté de replonger dans ses souvenirs, afin de décortiquer les batailles ayant construit son parcours. Chacune avec ses spécificités, son passé et sa propre vérité.
Caen (2000 - 2003) / Le Havre : « Le premier en pro »
« Maintenant, c'est la même région, mais à l'époque, il y avait deux régions séparées : la Haute et la Basse-Normandie. C'était un peu particulier, parce qu'on jouait contre Le Havre et moi je défendais les couleurs de Caen, alors que je suis Haut-Normand. Mais déjà entre Évreux – ville dont je suis originaire – et Le Havre, on ne s'aime pas beaucoup, donc le fait de les jouer avec Caen, ça continuait à aller dans ce sens-là, surtout que les deux clubs étaient partenaires.
Les deux villes n'ont rien à voir. Le Havre, c'est un port, c'est très industriel, comme l'est en règle générale la Haute-Normandie. La Basse est un peu plus agricole, un peu plus calme. Ce n'est pas du tout la même architecture, les mentalités n'ont rien à voir, les accents sont différents... A Évreux, la moitié des jeunes allait au Havre, l'autre à Caen, donc on se connaissait tous, je jouais contre beaucoup d'amis à moi. Il y avait une rivalité sur le terrain, mais en-dehors, on s'entendait bien. En pros, avec les supporters, celle-ci s'est accentuée. Il n'y avait pas autant d'engouement que ce qu'il peut y avoir en L1 sur des grosses affiches, mais c'était un bon derby pour démarrer... »
Lille (2003 - 2007) / Lens : « Le plus beau »
« Le derby du Nord, c'est celui entre la métropole (Lille) et « la cité ouvrière » où il y avait les mines (Lens), complètement opposées. Pour moi, c'est le plus beau que j'ai joué. A l'époque, il y avait également Valenciennes et Boulogne en L1, mais entre Lille et Lens, tout était différent. Les deux équipes étaient en haut de tableau. La grande ville contre la petite avec une énorme ferveur, qui me rappelle plus ou moins celle de St-Etienne.
Il doit y avoir plus de 30 000 habitants à Lens, tout le monde est au stade, il n'y a pas beaucoup de villes en France qui sont suivies comme ça. C'était souvent mieux chez eux, parce qu'à part pour ma première saison, on recevait au Stadium Nord qui était plus petit. Bollaert, c'était une grosse ambiance. Tout le stade nous détestait... C'était quelque chose et franchement, c'était bon. Face à Lens, c'était le match de l'année. Ces deux confrontations, il ne fallait pas les perdre et j'ai eu la chance de les gagner. Quand tu vas dans le centre ville après, forcément, c'est toujours mieux...
J'ai d'ailleurs une anecdote. Une fois, avec Lille, on se qualifie pour les 8es de finale de la Ligue des Champions, et il y avait des supporters de Lens qui nous attendaient à l'aéroport avec les Lillois, car ils étaient fiers pour le Nord. Les Lillois étaient très nombreux, et même si les Lensois n'étaient pas 1000 à nous attendre, ils étaient quelques-uns à avoir fait l'effort. Les gens sont nordistes avant tout. J'ai rarement vu ça. C'est une belle image, un beau souvenir que je garde. Je ne suis pas sûr que les Marseillais ou les Monégasques nous attendraient si, demain, Nice jouait la Ligue des Champions... »
OL (2007 - 2010) / ASSE (Juillet 2012 - Janvier 2013) : « pas d'équivalent »
« Je l'ai vécu des 2 côtés. C'est un peu à l'image du derby du Nord, Lyon la grande ville, contre St-Etienne l'ouvrière avec un gros passé et beaucoup de titres. Quand j'arrive à Lyon, le club est 6 fois champion, et rattrape plus ou moins l'ASSE au niveau des titres. Ça faisait quelque temps qu'il n'avait pas perdu. A l'OL, il y avait une certaine suprématie pendant des années, quand tu terminais 2e, ce n'était pas une bonne saison...
L'ambiance était très chaude, autant à Gerland qu'à Geoffroy-Guichard. St-Etienne était plus en difficulté à cette époque-là, le club n'avait pas enclenché ce qu'il fait depuis quelques années. Techniquement, ce n'était pas souvent des bons matchs. Mais il y avait énormément d'intensité, parce que là, la rivalité entre les deux équipes, les deux villes et les deux publics est énorme. A Lyon ou Sainté, dès que les jeunes arrivent au centre, on leur dit que l'ennemi est dans le camp d'en face. Beaucoup plus qu'à Lille, par exemple. Les deux côtés ne s'aiment vraiment pas...
Toi, tu portes les couleurs du clubs que tu représentes. Moi, c'était surtout Lyon. Quand on jouait le derby, j'étais 100 % lyonnais, j'avais envie de gagner. Quand je me suis retrouvé à St-Etienne, c'était un peu particulier parce que j'avais quand même fait 3 saisons à Lyon. Mais personne ne m'en a tenu rigueur. Dans la passion, l'engouement, le coeur que mettent les gens, la rivalité, la volonté de marcher sur l'adversaire... il n'y a pas d'équivalent ».

Paris (2010 - 2013) / Marseille : « Une chose à part »
« Ce n'est pas un derby, mais c'est le match qui m'a le plus marqué. C'est différent, autre chose, à part, historique... La première année où je vais à Marseille avec Paris, on se prend des pierres dans le bus. La vitre explose. On arrive au stade. Ils sont des milliers à nous attendre pour nous insulter... C'était très chaud mais ça n'a jamais était plus loin, et on joue aussi pour ça. Ces ambiances spéciales, ça te prend au coeur. Une fois, je me souviens qu'on avait perdu 2-0 là-bas : je n'en avais pas dormi pendant 2 semaines.
A Marseille, ils avaient de vrais Marseillais. A Paris de vrais Parisiens. C'était une question de fierté, surtout. Paris – Marseille, tout le monde en parle. 2 ou 3 jours avant, on sort les salaires dans la presse, les « conneries » des uns et des autres. On essaie de déstabiliser. En conférence de presse, tu as 50 ou 60 journalistes. La première année où j'y suis, notre coach est Antoine Kombouaré, un ancien Parisien. Pour « remonter les joueurs », c'était un champion du monde. On était sur-motivés. En face c'était pareil, et il y avait un vrai enjeu sportif. Le problème, maintenant, c'est que Paris a 30 points d'avance sur tout le monde. Nous, quand on rentrait sur le terrain, c'était 50 – 50. Qu ce soit au Parc ou au Vélodrome.

Le seul regret que j'ai, c'est que quand je fais le clasico avec Paris, le stade était déjà vidé, sans Auteuil ni Boulogne. Il y avait moins d'ambiance qu'auparavant. J'ai eu la chance d'aller en tribune dans des Paris / Marseille 10 ans auparavant. C'était autre chose. Du coup, l'ambiance était moins bonne que les autres derbies. Maintenant, c'est plus un spectacle plus qu'un match de foot ».
Nice (depuis 2013)– Bastia : « Une question de fierté »
« A Nice, il y a l'engouement des supporters. S'ils te reconnaissent dans la rue, ils viennent te parler gentiment. C'est agréable, le cadre de vie super. Quand je suis arrivé ici, je connaissais le Nice – Monaco. Je l'avais déjà vu, et notamment le 4-3. J'avais déjà observé le fameux déplacement au Louis-II. Là-bas, c'est folko', c'est sympa à vivre. Comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas qu'il y ait deux derbies comme celui-là où tu joues à domicile deux fois, en tout cas je n'en ai pas connu. Après, il y a Nice – Marseille, c'est un peu plus éloigné et j'étais moins au courant des antagonismes avant d'arriver ici.

Vendredi, on reçoit Bastia. Pour moi, c'est plus une rivalité entre les deux clubs, les deux villes et les supporters, qu'un derby. Pour Bastia, leur derby, c'est le Gazelec ou l'ACA. Nous, c'est plutôt Monaco ou Marseille. La logique correspond un peu plus, selon moi, à celle d'un Paris – Marseille. Battre Bastia, pour nous, c'est plus une question de fierté que de suprématie régionale. Quand ils nous ont battus la saison passée, on se souvient aussi que ça avait fait beaucoup de bruit. A l'aller, on a gagné là-bas, et je ne pense pas qu'on ait fait autant de bruit que lors de leur dernier succès chez nous. C'est comme ça. Pour moi, ce n'est pas le même engouement que Monaco ou Marseille, même si c'est sûr que la rivalité est forte. Maintenant, il y a surtout 3 points en jeu. Ce sera une rencontre très importante pour notre public et nous. A nous de faire un bon match et de faire plaisir aux supporters. Ça reste, quelle que soit l'affiche, la chose la plus importante...»
Constantin Djivas
Photos : C. Gavelle/PSG, D.R.
