Parallèles
Sommet(s) d’élégance
« Allô fils, tu as vu le match ? Ça faisait 30 ans que le Gym ne jouait pas comme ça. Quel régal ! » Une voix paternelle en guise de baromètre, convoquant les temps anciens avec un zeste de démesure. Un zeste épluché par la brute vérité, né des prestations haut perchées. Un zeste de football. De vrai. Ce petit zeste d'autre chose qui déplace des centaines de personnes au beau milieu d'une nuit d'automne. Réveille les vibrations. Fait renaître les héros. Le petit plus qui, en pleine trêve internationale, permet de jeter un œil joyeux sur les 13 premières journées. D'en tirer un bilan positif et d'autoriser les ambitions, au premier rang desquelles la régularité tient un poste de choix. Le poste permettant d'espérer. De rêver. De vibrer. Trois sentiments dessinés par un jeu basé sur le plaisir, le spectacle, la pureté. Un cocktail faisant rejaillir de lointains souvenirs, notamment chez ceux ayant connu le Gym des années 70.
OGCNICE.COM a invité un brillant acteur de l’époque, Charly Loubet, et Philippe Camps (chef des sports de Nice-Matin et spectateur énamouré de la décennie glorieuse) à oser le parallèle.
Les Beatles et le romantisme

« Je n'étais pas né dans les années 50, période où le Gym dominait et remportait les trophées. Dans les années 70, en revanche, j'avais une dizaine d'années, et j'ai tendance à magnifier cette époque, à la rendre peut-être plus belle qu'elle ne l'était. Pour moi, « les élégants » étaient des demi-dieux, des monstres sacrés. Aller au Ray, c'était le rêve. L'équipe avait des joueurs techniquement hors-normes, jouait partout pour gagner et donner du plaisir. Le foot était un spectacle emballant. C'étaient les Beatles, les cheveux longs. Le romantisme. » L'analyse est livrée par Philippe Camps, enfant ayant grandi à l'époque des géants. A l'époque où « ce n'était même pas le même sport », comme le concède le chef du Service des Sports de Nice-Matin, où le Gym de Jean Snella était l'apôtre du beau jeu. Où le coach « parlait un quart d'heure aux joueurs les veilles de matchs, avant de leur offrir une coupe de champagne et de leur demander de se faire plaisir. » Où le Gym était un poids lourd national (et européen) sans trophée, « parce que les romantiques ne sont pas des tueurs. » Où les joueurs se nommaient Baratelli, Eriksson, Huck, Jouve, Van Dijk, Loubet, tous internationaux. Si le journaliste avoue que les années et l'expérience ôtent la part de candeur de son analyse, s'il éprouve quelques difficultés à tracer des parallèles entre son enfance - « une époque où les sentinelles devant la défense n'existaient pas » - et le football moderne, il a du mal à masquer le plaisir ayant escorté certaines sorties de la cuvée 2015 / 2016 des Rouge et Noir.
Le retour du spectacle
Et il n'a pas de mal à nommer le petit quelque chose qui change tout : « le retour du spectacle ». Bastia, Bordeaux, St-Etienne, Rennes, Marseille... Le jeu affiché renvoie les générations de fervents à une joie simple. Atemporelle. Celle éprouvée quand les Aiglons combattaient en Europe par le passé ; et quand l'actuelle plus jeune équipe du continent se déplace sans complexe (2e formation à l'extérieur derrière le Paris SG), même « si elle connaît plus de difficultés à domicile ». Un groupe bousculant les conventions, captant la lumière, entrant simplement sur le terrain pour jouer au ballon avec discipline. Sourire. Attaquer. Apporter ses convictions et sa fraîcheur partout où il se déplace.

« Les deux époques sont incomparables, poursuit Camps. Pour autant, on peut calquer quelques éléments. Lors des beaux matchs de cette saison, au-delà des scores, c'était également emballant. Le Gym a marqué les buts et les esprits, les 3 petits gabarits au milieu ont joué. Il y a très longtemps que je n'avais pas vu une équipe de Nice donner une leçon comme elle a donné à St-Etienne, Rennes, ou Marseille en première mi-temps. Ça peut rappeler cette période dorée où Nice jouait toujours pour gagner, partout. Jamais en fonction de l'adversaire. En cela aussi il y a une similitude avec Claude Puel, qui n'évolue pas par rapport à l'adversaire mais aux qualités de son équipe. C'est redevenu le beau jeu. »
Loubet : « ça me rappelle ce que mettait en place Snella »

En ce début de 3e millénaire, « les milliardaires de la Côte » ont quitté la capitale azuréenne. Pourtant certains d'entre eux sont restés dans les parages, et scrutent attentivement les prestations de la nouvelle génération. L'ancien attaquant Charly Loubet (photo ci-dessus) fait partie de ceux-là, et ne masque pas son enthousiasme devant la promotion actuelle. « C'est une équipe qui me plait, et qui me rappelle ce que mettait en place Jean Snella. Sauf qu'à l'époque, le président Loeuillet voulait beaucoup d'internationaux, et je pense qu'on était encore plus solides derrière. Actuellement, ce sont des jeunes, ils courent partout, se battent. Je crois qu'ils peuvent faire une grande saison. J'ai eu peur qu'ils craquent en hiver, comme nous le faisions à l'époque. Mais ils ont bien réagi à Marseille. » Une « peur » renvoyant autant aux mots de Claude Puel, qui affirmait il y a quelques semaines « que les terrains difficiles ne faciliteront pas le jeu de son équipe », qu'à la plume de Philippe Camps, qui écrivit par le passé « que les belles plantes n'aiment pas le froid. » Pourtant les jeunes pousses actuelles ont seulement inscrit 4 buts de moins que leur aînés de 75 / 76 (l'attaque la plus prolifique du club sur 13 journées...), et ont su se réchauffer au Vélodrome, juste avant la trêve. Le tout en proposant « leur meilleure première période de la saison » selon leur coach. Ce qui entretient l'espoir d'un exercice stable dans la durée.
Si le style n'est pas comparable à leurs glorieux aînés, si les forces du foot français ont évolué, tout comme l'ADN de ce sport, les violons s'accordent pour saluer le jeu déployé par les Aiglons. « A part le PSG, c'est ouvert », tranche Loubet. « C'est encourageant, mais ça demande confirmation dans la durée » nuance Camps, avant de terminer par un aveu. « Maintenant que j'y pense, c'est vrai que mon père m'appelle des fois après les matchs pour me dire qu'il s'est régalé. Ça faisait des années que ça ne lui était pas arrivé. »
Sacrées voix paternelles...
Constantin Djivas
