Interview
Arghirudis, de père en fils
Il était attaquant. Il est entraîneur. Un père, un fils. Une même histoire, deux jolis chapitres. Romain Arghirudis (78 ans) a planté 32 pions en 65 matchs avec le maillot rouge et noir, entre 1969 et 1971. C’était hier et, pour ceux qui l’ont connu, c’était un privilège. Un demi-siècle plus tard, César (38 ans), son fils, a intégré le staff de Franck Haise au début de l’été, en tant qu’entraîneur adjoint en charge de l’analyse du jeu. À la faveur d’une matinée d’automne, nous les avons réunis pour une parenthèse familiale. Et celle-ci fut délicieuse.

Un père, un fils et l’OGC Nice. L’histoire est quand même magnifique…
César Arghirudis : On s’était toujours dit : « Est-ce qu’un jour, je vais suivre les traces de mon père ? Est-ce que je vais travailler à Lens, à l’Olympiakos ou à Nice ? » Il y a eu Nice cet été. Une belle opportunité. Ça s’est goupillé très rapidement et on n’a fait que parler de ça. Quand je suis remonté à la maison pour l’annoncer, sur le coup, c’était plus d’émotions pour mon père.

Romain Arghirudis : De toute façon, c’est obligé d’avoir des émotions quand on voit son fils adjoint de Franck Haise, l’un des meilleurs entraîneurs de France. César est sur le banc mais pour l’anecdote, il aurait aussi pu être pro. Sur le terrain. Il rigole quand je dis ça, mais il le sait. Là, je juge comme le directeur sportif que j’ai été, pas comme un père. Avec objectivité. Il était meilleur que moi de 16 à 20 ans.


Et donc, qu’est-ce qui a fait la différence ?
R.A. : La niaque. L’envie de marquer des buts. Ça, il ne l’avait pas assez.
C.A. : J’étais plus un excentré qu’un attaquant pur. Mais effectivement, j’ai manqué de grinta lors de mon passage chez les séniors. J’ai fait un bon petit parcours jusqu’à U19 nationaux, au CS Avion notamment. Après, le passage DH, N2, N3 a été un peu plus compliqué. Puis j’ai quand même vite basculé comme entraîneur. J’ai commencé à entraîner et à passer mes diplômes à 19 ans. Très jeune, j’avais envie de passer de l’autre côté. Ma motivation était plus tournée vers ça que vers une carrière de joueur.
R.A. : Alors que moi, j’ai toujours eu la grinta quand je jouais. Je ne comprenais pas pourquoi certains de mes copains, à l’époque, n’étaient pas dans un club pro. Avec le recul, la différence, c’est ça. Cet esprit. Quand je jouais au tennis avec César, ou à autre chose, il fallait qu’il s’accroche… Il avait quelque chose comme joueur mais franchement, il n’a pas raté son chemin. Passer les diplômes d’entraîneur, avoir ce parcours. Il n’y a pas de regret à avoir.
R.A. : Le plus compliqué, c’était de rentrer chez les pros…
Même quand on a un papa qui a passé sa vie dans le foot ?
R.A. : Oui.
C.A. : C’est toujours compliqué, même aujourd’hui, avec tout ce qui se développe dans les universités ou partout autour de nous. Avec le monde qu’il y a, toute la concurrence, locale, nationale ou même internationale, j’imagine que c’est encore plus dur de se faire un chemin actuellement.
Toi, tu as eu cette fibre de suite ?
C.A. : Oui. Je jouais et j’entraînais déjà à 19 ans. J’ai basculé très vite. Ça me plaisait énormément de passer mes diplômes au pôle Espoirs de Liévin. J’ai vite entraîné et avec l’université à côté, on avait la chance d’enchainer les premiers diplômes avant de passer le BE1, comme on l’appelait à l’époque. En deux ans j’avais mes diplômes, et j’ai coaché durant 7 ans dans différents clubs amateur du côté de Lens, puis j’ai été recruté à 26 ans par Christophe Galtier à Saint-Etienne. Aujourd’hui, à l’OGC Nice, c’est ma 13e saison de Ligue 1.
« Des années plus tard, me revoilà à Nice, avec mon fils. C’est beaucoup d’émotions. »
Romain Arghirudis
Romain, ça vous fait quoi de revenir ici ?
R.A. : Beaucoup d’émotions. Quand on voit ce que le club est devenu, c’est énorme. Moi, j’ai essayé de progresser avec les outils que j’avais, mais c’était plus compliqué à l’époque. Ma vie, c’était le football. Grâce à lui, je suis devenu l’homme que je suis. Quand j’ai débuté, je ne voulais pas faire la fête. Je voulais juste réussir. Et des années plus tard, me revoilà à Nice, avec mon fils. Oui, c’est beaucoup d’émotions.
Comment était le Gym à votre arrivée, en 1969 ?
R.A. : Il venait de descendre mais il y avait vraiment de sacrés joueurs ! Il y a juste une remarque à faire pour mesurer ce que je dis. À l’époque, le trophée des champions était entre le champion de 1ère Division et le champion de 2ème division. J’étais malheureusement blessé car je m’étais fait casser en deux au cours du dernier match de championnat, contre Avignon (0-0, le 17 juin 1970). Ce trophée des champions s’est joué au Ray (voir fiche ci-dessous). Et qui a gagné ? C’est nous, les champions de France de 2ème division ! On avait battu Saint-Etienne (2-0), avec notamment un but EXCEPTIONNEL de mon copain Claude Quittet. Faut regarder ce but. Quelqu’un a fait un livre sur lui et j’avais piqué une superbe photo chez un journaliste de l’époque. Quittet fait une tête plongeante au point de pénalty, à 1,50m du sol. Il vole. On voit ses yeux ouverts.

Cette victoire, ça veut dire quelque chose : que l’OGC Nice, même en D2, était une équipe incroyable, avec de grands talents. Entre cette saison et celle d’après, en D1, je peux vous en citer beaucoup : André Chorda, Fernand Goyvaerts, Günther Kaltenbrunner, Roger Jouve, Leif Eriksson… Il y avait du monde. Comment pouvais-je ne pas marquer avec des joueurs pareils ? Il donnait des caviars.

Leif Eriksson, notamment, a été l’idole de toute une génération…
R.A. : Quel joueur ! (Il marque une pause) Mais vraiment, quel joueur ! À l’époque, c’était plus difficile de s’adapter pour les étrangers. Je ne sais même pas si on s’occupait de lui dans la vie de tous les jours. Quand il a commencé à s’adapter, ça a été incroyable. Il faisait des passes... Il était capable de dribbler toute l’équipe, de dribbler le gardien, et au lieu de marquer, il te la donnait. La classe, comme Roger Jouve. Et le meilleur, pour moi, c’est Claude Quittet. International français. Quand il est arrivé, il jouait milieu défensif à Sochaux. Vraiment le top niveau.
Votre 2ème et dernière saison au club, elle se déroule en D1, en 1970-71.
R.A. : C’est ça. Je suis parti après parce que les Grecs sont arrivés. Mon grand-père était grec et je vois l’Olympiakos taper à la porte. Ça ne se refuse pas. Sans cette proposition, je serais resté ici. Sans aucun doute. J’avais fait venir mes parents, ils adoraient la ville, même s’ils devaient remonter en Alsace pour les autres enfants (il est né à Mulhouse, ndlr). Déjà, à l’époque, la vie à Nice, c’était quelque chose de fantastique. Le soleil, la douceur. Là je suis venu voir César, mais je repars bientôt dans le nord. J’ai déjà peur de remonter (il se marre).
Comment s’est déroulé votre départ du Gym ?
R.A. : Un journaliste grec est venu voir un match France – Grèce. Il était chargé par l’Olympiakos de se renseigner sur moi, car ils avaient repéré mon nom. Ce journaliste – qui était en plus le correspondant de France Football et L’Équipe - a demandé à ses compères journalistes français des infos. Le rédacteur en chef de l’Équipe a donné des renseignements. Ils ont appelé l’OGC Nice et le club m’a amené jusqu’à Genève pour faire le transfert. Le président Loeuillet s’était mis d’accord sur un transfert de 1,2 millions d’anciens francs. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était OK avec le président de l’Olympiakos, qui était un armateur. J’étais à l’hôtel, tout devait être officialisé lundi… et deux jours avant, le président Loeillet me rappelle pour me dire qu’il ne me vendait plus : « Tu comprends, ils ont pris Yves Triantafilos. Il joue en D2 (il avait été meilleur buteur de D2 lors de la saison 1970-71, ndlr) et ils l’ont acheté 80 millions. Tu es l’un des meilleurs buteurs de D1 et ils proposent 1,2 million. Je veux 300 millions. »
Et alors ?
R.A. : Je vais voir l’un des administratifs de l’Olympiakos qui parlait très bien français. Il me dit d’attendre une minute et prend son téléphone. Il appelle le président aux Bahamas. 30 secondes après, tout était bouclé. Les 300 millions ont été versés le lundi (450 000€, environ). J’étais moi-même impressionné. J’avais déjà fait mon contrat avec le club, donc ça n’a rien changé pour moi mais cet épisode m’a bien servi par la suite, quand je suis devenu directeur sportif. Je pense que la somme de ce transfert a beaucoup servi à l’OGC Nice, pour se renforcer par la suite, avec des étrangers et des internationaux notamment.
« Je lui ai dit qu’il aille voir ce qu’il reste du Ray »
Romain Arghirudis
César, comment c’était pour toi petit, avec un papa dans le foot ?
C.A. : On a toujours été habitué à bouger. On a fait le tour de la France quand il était directeur sportif : Lens, Bordeaux, Alès, Sedan. J’ai vécu comme ça et comme on a toujours été dans le foot. Mes premiers souvenirs sont à Sedan. Je passais ma vie au club, entre le bureau et les terrains, en débutant, poussin. Ensuite mon père a basculé sur une carrière d’agent de joueurs et je le suivais sur les routes pour aller voir tous les matchs des joueurs qu’il avait. On retournait à Sedan, on allait à Auxerre à l’époque de Yann Lachuer et Djibril Cissé. On allait voir les matchs de Ligue des Champions la semaine, les autres le week-end. Je me souviens des couloirs entre le terrain et les vestiaires, je voyais les entraîneurs, les grands joueurs. Je me suis toujours dit que je voulais être dans une équipe pro, vivre ça de l’intérieur et j’ai rapidement eu envie de devenir entraîneur.
R.A. : Je complète avec une petite anecdote. Quand il a commencé à passer ses diplômes, il m’a demandé comment il pouvait faire pour aller dans un club pro. Je lui ai dit d’envoyer des mails à tous les clubs et à tous les entraîneurs en direct.
C.A. : Comme on disait au début, c’est difficile d’entrer dans ce milieu. Avoir un papa qui évolue dans ce secteur ne m’a pas ouvert les portes.
R.A. : Et un jour il m’a envoyé un texto : « Tu le crois ça, Saint-Etienne m’a appelé… »
Vous n’aviez rien à voir avec cet appel ?
R.A. : Absolument rien.
C.A. : Mon CV avait été retenu. Il y a eu un bon concours de circonstances. Le staff cherchait à évoluer. Je suis parti d’une page blanche à Saint-Etienne. J’ai commencé analyste tactique seul dans le staff des Verts avec tout le travail que cela demandait déjà à l’époque. Avec les campagnes européennes, on a pu évoluer en travaillant à 2, avec un analyste adjoint sous la houlette de Claude Puel. J’y suis resté 8 ans. Je suis passé ensuite par Rennes durant 4 saisons et maintenant Nice. Pour connaitre des postes de responsable de cellule d’analyse ou d’adjoint. Avec le management de plusieurs personnes dont des "data analystes". C’est un rêve éveillé, avec de la continuité. Cela me donne aussi la chance de découvrir différentes régions, d’autres pays. J’ai vécu dans le Forez, en Bretagne, et maintenant je découvre Nice et la Côte d’Azur. Quand c’est intégré à la vie familiale, c’est juste une immense chance.
Romain, avez-vous dit quelque chose à César avant qu’il arrive à Nice ?
R.A. : Je lui ai dit qu’il aille voir ce qu’il reste du Ray (sourire). Sinon, j’étais content. C’est quand même une surprise qu’il soit venu ici, dans un club où je suis passé. Il est en train de suivre mes traces. C’est génial.
C.A. : Même pour moi, il y a de l’émotion. Je me dis que c’est incroyable d’être là où mon père a joué. Le clin d’œil est beau.

Il y en a qui t’en parlent ?
C.A. : Bien sûr ! J’ai été voir le site du club, j’ai vu la rubrique sur les anciens joueurs, avec tous les noms, les datas. C’est énorme. Entre la famille, certains amis, on m’en a parlé. Tout doucement, quand je croise des gens au stade, à l’approche des matchs, on m’en parle aussi. On me dit qu’on connait mon nom ici. Je vois que ça fait plaisir à certains. Il y a notre nom sur le mur de la salle de conférence quand même. À Lens, quand j’étais au lycée, j’ai un prof de philo, pour mon premier cours, qui fait le tour de la classe pour l’appel. Quand il vient près de moi, il me dit : « Arghirudis, c’est l’ancien joueur de foot ? » Je lui dis que c’est mon père et je m’attendais à ce qu’il me parle du RC Lens. « Non en fait, je suis niçois, j’ai été prof à Nice et j’ai vu ton père jouer au Ray. »
Propos recueillis par Constantin Djivas
Evan Garcia / Archives : Michel Oreggia
