Revue de presse

J-P. Rivère : L'interview de ses 10 ans de présidence

Dix ans de présidence, ça marque. Un club comme un homme. Le Gym et Jean-Pierre Rivère n’étaient pas spécialement faits pour se rencontrer. Leur union a pourtant fait des miracles. Le Gym luttait pour le maintien dans des installations vétustes et un stade du Ray en friche, en 2011. Dix ans plus tard, il jouit d’infrastructures solides et d’un actionnaire multi-milliardaire pour viser l’Europe chaque saison dans un stade neuf. Chef d’entreprise dans l’immobilier, le président a consolidé les fondations de l’OGC Nice. C’est une des fiertés qu’il a partagées fin décembre avec Nice-Matin dans les locaux de son entreprise. Face à la mer.

Président, votre meilleur souvenir de ces dix ans ?
L'Ajax, le match retour. Sur le plan de l'émotion, c’est le plus beau souvenir. J’avais la conviction qu'on allait égaliser dans les dix dernières minutes, ça m'arrive rarement. Peut-être de la méthode Coué, je ne sais pas. Ramener la petite musique à l'Allianz, c’était une très belle joie collective. On était tous sur la pelouse à la fin du match, le coach, les joueurs, le staff, pour partager ce bon moment. J'aurais aimé en vivre d'autres comme ça. Ils sont à venir, j'espère (sourire).

En tenant en échec l'Ajax à Amsterdam (2-2), l'OGC Nice va s'offrir une soirée de Ligue des Champions à l'Allianz Riviera

Le pire souvenir ?
Le Lyon-Nice de la 1re année (3-4, 2011-12). On risquait la descente, la souffrance était dans le résultat. Mais surtout à la fin du match. J'avais beaucoup d'affection pour René, si on parlait avec le cœur, je le gardais comme coach. Mais pour le projet, on était allé chercher Puel. A la fin du match, tout le monde est joyeux parce qu’on est sauvé, mais moi je sais que je dois arrêter René. Le rôle d'un dirigeant, c’est de devoir prendre des décisions très douloureuses de temps en temps.

Votre plus grande fierté ?
Sincèrement, il y en a une seule : le jour où je sais que le deal est signé avec Ineos. Pendant trente secondes, je me dis qu’on a vraiment bien travaillé pour le club. Ça n’a duré que trente secondes mais je me suis dit : ‘‘On l'a fait !’’

Nice-Marseille, c’est la seule fois où vous vous êtes manqué ?
Je reviendrai là-dessus quand je sortirai du foot. Je n’ai pas envie de polémiquer. Les circonstances cumulées ont fait que je n'avais pas la lucidité et l'envie de communiquer. Je l'ai fait. Ce serait aujourd'hui, le discours serait complètement différent. C’était tellement inattendu, vous êtes KO debout. On touchait autre chose que le football : on est rentré dans le privé (vive altercation avec Longoria en tribunes, son épouse a également été concernée ndlr). Et il ne faut pas qu'on me touche là-dessus. Ce n’est pas agréable en termes d'image, mais quand vous êtes président, il faut accepter de prendre les coups pour les autres. Le cuir est épais, ça ne me dérange pas. Je suis attristé de voir que ça se répète partout.

Dans le fonctionnement du club, vous êtes plus en retrait aujourd’hui ?
Quand j’étais parti (janvier 2019), j’ai vécu neuf mois sans foot. L’environnement me manquait, mais j’avais une vie légère. J’ai replongé parce qu’Ineos nous l’a demandé. Mais dans une nouvelle structuration, que j’ai souhaitée, le rôle évolue. J'aime ce que je fais dans les instances (vice-président du collège de Ligue 1, il siège au conseil d’administration de la Ligue ndlr), la voix de l’OGC Nice compte aujourd’hui. Nous avons un chantier en cours énorme pour l’évolution de notre football.

Octobre 2017, l'OGC Nice inaugure son Centre d'entrainement et de formation

Vous savez à quel moment vous quitterez le club ?
Aucune idée. Je pensais rester cinq ans... Depuis l’arrivée d’Ineos, nous avons l’objectif d’installer Nice dans les top clubs français et être le plus souvent possible en Coupe d'Europe. Le club est dans une situation sereine, je suis un homme libre, mais il faut respecter les gens qui investissent leur argent. Au moment où je sentirai que je n’ai plus envie d'être là, je dirai au revoir et merci.

Un titre, c’est votre prochain challenge ?
Etre top 4-top 5 de manière récurrente, c’est aussi difficile qu’accrocher le maintien. Un titre, ce serait beaucoup de plaisir. Mais ce n’est pas ce qui m'obnubile. Le jour où je partirai, j’ai un seul souhait, c’est que le club soit en très bon ordre de marche. C'est ça qui me motive. Mon plus grand souhait, c'est que les salariés, les supporters, la ville respirent du plaisir grâce au club. On n’a pas souvent l'occasion de donner du plaisir aux gens. On a un devoir sportif, mais sociétal aussi. Si on arrive à donner des émotions, c'est fantastique.

« J’aime les parcours atypiques »

Le transfert de Mario Balotelli ?
C’est là où je me suis le plus amusé. Il y avait des obstacles négatifs à chaque rencontre, je n’ai jamais lâché l’idée de le faire venir jusqu'à la dernière demi-journée. Ça fait partie des choses intuitives, c'est ce qui me plaît. Tous les vents étaient contraires. Quand je prends le club aussi, c'est une folie aux yeux de beaucoup de gens. Mais plus on me dit de ne pas le faire, plus ça devient un challenge à relever. Mino (Raiola) m'a expliqué pendant une heure pourquoi il ne fallait pas prendre Mario. J’ai passé ensuite 4 heures avec le joueur, un gentil garçon. J’avais la conviction qu’il fallait le faire. C’est l'intuition qui a souvent guidé ma vie, certains appellent ça des coups d’avance. Mais vouloir faire Mario, c’est une chose. Avoir les gens autour de vous capables de le réaliser, c’est bien plus important. On a amené une autre façon de travailler, d'être entrepreneur. Seul on ne fait rien.

Pareil pour Hatem Ben Arfa ?
Humainement parlant, Hatem et Mario sont deux joueurs avec qui j’ai noué des relations particulières. J'aime bien ces joueurs au parcours atypique. J'aime rencontrer les gens, me faire une opinion en parlant avec eux. Mario et Hatem, si vous écoutez ce qu'il se dit, vous ne les recrutez pas. Encore une fois, je n’étais pas seul, mais j'avais une intuition profonde qu'il fallait les faire. Un président ne doit pas interférer entre le coach et le joueur, mais il leur est arrivé de venir à la maison quand ils avaient un souci. On avait une relation de confiance qui nous donnait envie d'échanger. Julien connaissait bien Hatem de l'OM, Mario c’était un gros pari. Il a fallu convaincre beaucoup de monde. Quand vous êtes intuitif, vous faites nécessairement des erreurs. Mais quand ça marche, vous êtes content.

Dante

« C’est notre capitaine, un symbole d’exemplarité pour le club. Il est là pour faire grandir l’OGC Nice, pour accompagner les jeunes. C’est un grand plaisir d’avoir un tel joueur avec nous. Pour le présent et j’espère pour le futur. »

2016-2017

« La saison la plus marquante. Elle restera unique pour le drame de l’attentat, j'espère qu'on ne revivra plus jamais ça. Chaque fois que Nice gagnait, on retrouvait une fierté, un merci, un peu de bonheur ponctuel dans la ville. On était champion d’automne, on a redonné le sourire aux gens. S’il y a un regret, c’est sur le mercato d'hiver. On est premier et on sait que l’effectif est trop court pour être dans la compétition jusqu'au bout (le Gym finira 3e derrière Monaco et le PSG). On voulait le renforcer avec Julien, on avait l’argent et rien à demander à nos actionnaires. On a une belle opportunité (Memphis Depay), dans des conditions extrêmement favorables. Les actionnaires ne veulent pas suivre. Là, je comprends, 6 mois après leur arrivée, qu'ils ne peuvent pas nous accompagner sur le futur. Je ne dis pas qu'on aurait terminé premier, mais on voulait se donner les moyens de le rester le plus longtemps possible. »

C'EST DIT

« Dix ans sont passés très vite. C’est une très belle expérience. Je ne suis pas tous les jours dans ce métier, je peux avoir un peu de recul. On apprend beaucoup de choses, c’est un métier qui a plein de facettes. Mon rôle, c’est de préparer le club pour la suite. La vie d'un club, c’est une succession de présidents. »

« Je m’étais fixé une règle au départ : ne jamais me servir du foot pour faire de l'immobilier. J’avais, quelques années avant mon arrivée au club, proposé une restructuration pour le stade du Ray. Quand l’appel d’offres a été lancé, je n’ai pas candidaté. Pour ne pas qu'on pense que j'ai investi à l'OGC Nice pour faire du business. Je voulais rester neutre. »

Le plus beau match

« Il y en a beaucoup. Je dirais la victoire à domicile 3-1 contre Paris (2016-17). L’équipe fait un match plein, elle reste dans le haut du tableau. Je pense à l’inauguration de l'Allianz aussi, contre Valenciennes (4-0, 2013-14). Je ne retiens pas la qualité du match mais le plaisir d'avoir un stade plein, festif. Voir des enfants et des gens découvrir ce stade magnifique était un moment assez magique. J’avais eu l'occasion d'aller avant au stade, je m’étais assis dans toutes les tribunes pour me rendre compte de la visibilité. C’était un plaisir de partager ça avec le public niçois. »

Du stade du Ray (2011) à l'Allianz Riviera (2013)

Le plus émouvant

« Nice-Rennes, un mois après le drame (1-0, 2016-17). Un match très symbolique. Ce n'était plus du foot, juste dire on est debout, on est là. Le but de Malang (Sarr) est très symbolique. C’était une journée très particulière. Le matin, j’avais fait du paddle. J'ai exprimé une rage profonde en longeant la Promenade des Anglais. On ne peut pas être bien, comment jouer au foot après un drame... Ça nous a accompagnés toute la saison. C’était le point de départ d'une année particulière. »

Le pire

« Il y en a trois : Nice-St-Etienne (0-1, 2013-14), Nice-Bastia (0-1, 2014-15) et le dernier Nice-OM (tous marqués par des incidents mêlant les supporters ndlr). C'est tout ce qu'on ne veut pas voir dans un stade. Après des années de travail, le compteur est remis à zéro tout d’un coup. Des gens viennent au stade prendre du plaisir et ça s'effondre d’un coup. Après ça, on se relève les manches et il faut reconstruire. »

Un regret

« C’est assez paradoxal au vu de la progression du club mais reste une préoccupation majeure : comment remplir ce stade ? On se pose très souvent la question avec Julien (Fournier), comment peut-on faire ? Vous affrontez Metz en étant deuxième, vous pouvez jouer le haut du tableau mais pourtant le public reste très clairsemé dans le stade. On va encore travailler là-dessus. Pourtant on a déjà œuvré sur le ‘‘Programme pouvoir d'achat’’. Il faut quand même rappeler que si chaque supporter l'active, l'abonnement ne lui coûte pratiquement rien. 12 500 abonnés peuvent en profiter cette saison déjà. »

l'anecdote méconnue

« C’est l’histoire d’un petit garçon prénommé Hugo. Il était atteint d’un cancer très rare, je crois qu’il n’y avait que six cas en France. Il y avait très peu d'espoir qu’il puisse sortir de ça. L'OGC Nice a décidé de jouer son rôle en tant que petit maillon de la solidarité, avec quelques petites actions organisées parmi tant d'autres pour le programme ‘‘Enfant sans douleur’’. Les parents du petit Hugo étaient toujours là, même si c’étaient des moments très compliqués pour eux. Nous, on se demandait à chaque fois qu’on le voyait : « Est-ce qu'on va le revoir ? » Puis quand j’emmène mon fils faire sa rentrée à la maternelle, je vois les parents avec le petit Hugo. Il était dans la même classe que mon fils, qui était un peu bagarreur. Je dis alors à mon fils : « Lui, tu ne le touches pas, c'est un copain à moi. » Aujourd'hui, c’est le meilleur ami de mon fils. Et ce petit Hugo est guéri. Ils jouent aussi dans la même équipe au foot, c’est un bonheur à chaque fois que je le vois. Notre petit maillon a servi à quelque chose. C’est un événement qui a marqué ma vie de président (il a les larmes aux yeux). C’est un immense bonheur quand les parents vous appellent pour vous annoncer qu’il est guéri. Et aujourd’hui, ce sont des amis. »

Sa plus belle rencontre

« Il y en a beaucoup. Avec Julien (Fournier), ça dure dans le temps parce que chacun respecte l'espace de l'autre. Nous sommes à la fois très différents et parfaitement complémentaires. Lui regarde davantage l’instant présent quand moi j’essaie de voir plus loin. On a parfois eu des points de vue divergents, mais on ne s’est jamais disputé. »

Le coach

« On a toujours eu des coachs qui, au moment où on les prend, sont au-dessus du club. Claude, c'est le coach idéal pour le projet. Lucien, son histoire parle pour lui. Quand on prend Christophe, il est champion de France en titre. Et au quotidien, c’est un grand plaisir d’échanger avec lui. Au-delà de ses compétences, c’est un vrai plaisir sur le plan humain. Le coach, c’est la pierre angulaire. Avec Vieira, les planètes n’étaient pas alignées. Ça n'a pas pris, ça fait partie de l'histoire d'un club de foot. Je lui souhaite d'être un très grand coach même si ça ne s’est pas passé comme on le souhaitait. »

Entretien réalisé par Vincent Menichini et William Humberset (Nice-Matin, du 29/12/2021)