Interview

Pierre après pierre, comment l’OGC Nice construit son projet

« Faire grandir l’OGC Nice ». Vaste programme. Depuis 2011 et leur arrivée à l’OGC Nice, Jean-Pierre Rivère et Julien Fournier martèlent cet objectif. Et surtout s’y emploient. Le chantier sportif a repris de plus belle à leur retour au club voilà neuf mois, afin d’imprimer le même niveau d’exigence et de compétence de l’équipe première à la préformation. Avec quels moyens et pour servir quelles ambitions ? Pour la première fois, le Directeur du football de la maison rouge et noir lève le voile sur cet indispensable travail de fond.

 

Sous tous les angles

Outil incontournable de la préparation des matchs, la vidéo est désormais l’apanage d’une véritable cellule dédiée au sein du club, placée sous la direction d’Adrian Ursea. Avec un pole technique pour disposer des solutions les plus innovantes, et un pole d’analyse.

Découpage poussé, analyses globale et individuelle, captation des entrainements à l’aide d’un drone. La vidéo nourrit le travail quotidien des Aiglons. A la fois celui des pros et du centre de formation. « Ce sont des générations qui ont besoin de visualiser », appuie Julien Fournier, et « cela doit nous permettre d’offrir des clés supplémentaires à Patrick ».

 

Des yeux à l’étranger

En plus des passerelles établies avec Lausanne par l’entremise d’INEOS, l’OGC Nice a également commencé à tisser sa toile sur d’autres continents. Deux zones géographiques ont été ciblées : l’Afrique et le Brésil. Un maillage qui a récemment favorisé le recrutement de l’auriverde Robson Bambu, en provenance du CA Paranaense. « Au Brésil, nous avons un recruteur, Carlos Henrique. C’est le premier pas. Avoir la bonne information au bon moment donne la possibilité de recruter des joueurs plus tôt. C’est ce qui nous intéresse », explique le directeur du football.

« En Afrique, un continent où il est complexe de travailler, nous avons eu l’opportunité en 2018 de nouer un partenariat avec un club, le RC Abidjan. Cela tient de l’exception. On y a trouvé tout ce que l’on aime : la philosophie de jeu, le profil des joueurs, le partage des mêmes valeurs. Un choix naturel. C’est un réservoir de plus de 100 joueurs en formation. Malgré une moyenne d’âge très basse, l’équipe première était en tête du championnat au moment de son interruption ».

 

Profession « talent manager »

Aider les jeunes à fort potentiel à franchir le cap des promesses jusqu’aux derniers pas décisifs. Depuis les équipes du centre jusqu’à l’Allianz Riviera. Un travail d’accompagnement dont la nécessité a germé ces dernières années dans la tête du décideur sportif, avant de prendre forme cette saison : « L’idée était déjà là. Mais elle n’avait pas de nom, ni de cadre. Cela a fait tilt quand j’ai découvert que la pratique était déjà en place à Lausanne, avec la présence d’un « Talent Manager » ».

Frédéric Gioria, toujours adjoint de Patrick Vieira, a ainsi enfilé cette nouvelle casquette cette année. Il est détaché auprès des jeunes Aiglons identifiés comme les plus talentueux, tant en pro’ (Boudaoui, Thuram, Trouillet, Pelmard,…) y compris en prêt (comme Ndoye), qu’au centre, mais également dans les rangs du RC Abidjan. Un travail de développement individualisé. Technique, physique et mental. « A terme, il nous faudra un deuxième Talent Manager pour faire la même chose de la préformation à la formation », estime le directeur du football.

Le choix d’offrir ce suivi à un jeune du centre plutôt qu’à un autre ? « Un joueur qui a plus de potentiel que les autres, le club doit lui donner plus. Davantage de travail athlétique, plus de vidéo,… Suivre ce programme doit être une source de motivation. Pour en faire partie, comme pour y rester. Le jeune qui ne s’investit pas et qui veut se servir du club pour aller ailleurs, on coupe le fil tout de suite. Et, à l’inverse, la porte n’est pas fermée à un gamin qui n’est pas programmé pour ça au départ mais qui s’accroche. Ce n’est pas en vase clos. Personne n’est laissé pour compte. L’élite, c’est motivant. ».

La finalité s’entend aisément : alimenter, à terme, l’équipe professionnelle. « Avant, les éducateurs me disaient : « On a une belle génération, on est 3e, etc. », certains se focalisaient sur la Gambardella. Elle procure des bons souvenirs, mais ce n’est pas la priorité non plus. Mon message c’est « trouvez-moi des joueurs qui peuvent monter en équipe première ». Souvent, on donnait la même chance à tout le monde. Je ne suis pas d’accord. Si untel est meilleur, c’est lui qui doit sortir. Et on doit tout faire pour ».

 

Du soin à la prévention

« Bien sur, on continue à soigner nos blessés. C’est la base. Mais je voulais aussi que nous soyons dans la prévention, et qu’aucun joueur ne soit lâché dans la nature ». Des paroles aux actes. Désormais, la santé des Aiglons est auscultée en permanence. Le vaisseau rouge et noir, sorti de terre en octobre 2017, est à ce titre un atout précieux. « Si un joueur est blessé, il vient le matin au centre, fait ses soins, puis il déjeune ici, puisque nous avons mis en place un repas adapté y compris quand l’équipe ne s’entraine pas. Il a une chambre pour se reposer, puis il continue son travail l’après-midi ». Pour accompagner cette évolution, le staff médical s’est étoffé. Un deuxième docteur, un nouvel ostéopathe, mais aussi… une diététicienne. « Elle travaille pour la formation comme pour les pros. Elle les flique gentiment, avec le sourire, mais elle est là. On a nos joueurs au petit-déjeuner et au déjeuner. Donc les 2/3 de leurs repas sont contrôlés. Quand tu élèves le niveau dans tous les secteurs du club, les joueurs se mettent au diapason. Ceux qui ne le font pas s’élimineront tous seuls et partiront ».

Les installations se sont aussi enrichies d’une cryothérapie. D’autres aménagements sont envisagés, avec des réflexions également transversales au sein des différentes activités sportives du groupe INEOS.

 

LE CHANTIER DES TERRAINS

Mis en lumière la semaine dernière sur le site officiel, le travail méticuleux de Scott Brooks sur les terrains du centre depuis son arrivée en janvier vise à améliorer leur « jouabilité » mais également à prévenir les blessures musculaires. « Nous avons toujours eu recours à des prestataires. Avec Scott, ils ont maintenant face à eux un spécialiste. De gros aménagements vont continuer d’être faits. Il est indispensable de construire a minima 5 terrains supplémentaires », avance Julien Fournier.

« Les aléas d’un match de football, cela ne se maitrise pas. Mais tous les autres paramètres que l’on peut contrôler, tous les détails que l’on peut soigner, il faut le faire ».

 

Les gardiens à bonne école

Cet hiver, Nicolas Dehon a pris en charge les gardiens de l’équipe fanion, tandis que Lionel Letizi s’est vu confier un nouveau rôle. « Quand on fait « descendre » Lionel à la formation, ce n’est pas pour mettre un nom », écarte le directeur du football. « L’objectif est de faire bénéficier la formation de toute son expérience, et ainsi mettre le centre au même niveau que l’équipe première en matière de travail et d’exigence ».

Pour être plus fort demain, le Gym s’appuie ainsi sur une logique de « tronc commun ». Mais aussi des collaborations avec des écoles spécifiques de gardiens. Un premier partenariat a été noué à Marseille.

 

La formation : ADN OGC Nice et ambitions

Le chantier est identifié « prioritaire ». Aussi, la formation fait partie des secteurs où les efforts ont été parmi les plus conséquents depuis septembre dernier. Au-delà de l’encadrement médical, vidéo, et scolaire qui vient désormais étoffer chaque étage de la fusée (lire par ailleurs), les nouveautés sont visibles jusque sur le pré. Des têtes à la fois nouvelles et connues. Manu Pires a repris les rênes du centre, tout en prenant sous son aile l’ancien latéral Cédric Varrault pour conduire la réserve, tandis que Didier Digard fait ses premiers pas d’adjoint aux côtés de Bruno Rohart, coach des U17.

Dans la même veine que les reconversions réussies ces dernières saisons par Jérémy Quiez (entraineur des jeunes portiers), Arthur Leblanc (préparateur physique au centre) ou encore Hachim Ali Mbae (analyste vidéo), après avoir défendu les couleurs rouge et noire au centre de formation. « Qu’ils soient connus ou non du grand public, tous ces anciens sont des forces vives du club », identifie Julien Fournier. « A qualités égales, un membre de la famille rouge et noir part avec un avantage pour moi. Cela lui confère aussi des devoirs. Car ensuite, c’est à lui de s’investir à fond pour mériter cette confiance ». Un coach adjoint en U19, avec une mission auprès des jeunes attaquants, devrait prochainement compléter l’organisation. Il n’est pas impossible que lui aussi ait eu l’Aiglon sur la poitrine par le passé…

Aussi, les ambitions se doivent d'être élevées, à l’avenant. « Quand on est un formateur et qu’on dispose de plus de moyens, de plus de compétences autour de soi,… c’est bien, cela offre un certain confort. Tu as l’impression d’avancer. Mais si le club accomplit tous ces investissement humains, financiers, stratégiques sur les jeunes, c’est avec l’objectif que cela se traduise par la formation de joueurs de haut niveau. Il y a une obligation de résultats », prévient Julien Fournier. « Pour moi, un joueur de haut niveau c’est un élément titulaire au sein d’un OGC Nice qui joue l’Europe, c’est un garçon qui ne quittera pas le club pour une formation étrangère de milieu de tableau mais pour aller tout en haut chez un grand d’Europe, c’est un jeune de chez nous qui devient titulaire en Equipe de France,… Hugo Lloris, c’est un accident heureux. Ce que je veux, c’est lancer et que cela perdure ».

 

Et maintenant, la préfo’

Cet hiver, la préformation est officiellement passée sous le giron de la SASP (l’entité professionnelle du club). Un changement tout sauf anecdotique. « On a commencé à remplir la coquille de l’équipe première il y a 8 ans. On continue. C’est comme une pyramide de champagne. Tu commences par le haut et tu termines par le bas. Le niveau de la préformation était catastrophique », juge le directeur du football. « On essaie de l’élever à présent, en ajoutant de la compétence ».

Aujourd’hui placée sous la direction de Fabrice Garrigues (« une personne de grande valeur, sportive et humaine, comme Manu Pires »), la préformation doit permettre de mieux maitriser l’évolution des jeunes pousses, de bout en bout. Avec la nécessité de disposer d’entraineurs à temps plein.

 

Avec l’Association, une relation pacifiée

Agitées de tout temps ou presque, les relations avec l’Association (la section amateur du Gym) sont aujourd’hui « pacifiées ». Le transfert de la préformation s’est effectué sans heurts cet hiver. Et les échanges continuent d’aller dans le bon sens. « Jean-Luc Donati (directeur général) est vraiment dans l’esprit », souligne Julien Fournier. L’Asso’ a conservé la gestion des féminines, ainsi que celle de « l’école de foot ». « Une mission très importante. Idéalement, toute notre préformation doit être alimentée par elle ».

 

Des têtes bien faites

Le basculement de la préformation va permettre au club d’élever sensiblement son niveau d’exigence en matière de scolarité. « J’en fais un point d’honneur. Quand tu prends un gamin, tu as des responsabilités vis à vis des parents », insiste Julien Fournier. « Ils savent que pour faire carrière il y a un aléa sportif important, mais par contre c’est impensable de faire courir le moindre risque médical ou scolaire ».

Un cadre, des règles. Mais aussi l’apprentissage. L’OGC Nice va se doter d’une école intégrée, avec l’objectif de proposer des filières à la carte. « Face à un jeune qui voulait faire du foot et qui était bon à l’école, on ne pouvait proposer qu’un bac techno jusqu’ici. L’idée est toujours la même : offrir des services individualisés. Nous devons être les meilleurs en la matière. Prenons un jeune avec un très gros potentiel sportif et qui peut prétendre à faire, par exemple, un Bac S. On doit être en mesure de lui ouvrir une classe même s’il est seul dans ce cas. S’il est avant-centre et qu’il a "un spécifique attaquant" avec les meilleurs du club et que cela tombe pendant ses heures de classe, il faut qu’il puisse participer à cette séance parce qu’on va lui payer des cours individuels à côté. Et nous allons le faire avec nos professeurs, que nous allons recruter et salarier. On se fixe cet objectif. On ne va peut-être pas y arriver ? Moi, je pense que oui ».

Laurent Oreggia