Cardinale / Koziello

Vents de fraîcheur (1)

Sièges bien en place. Contexte cadré. Après les capitaines, Vincent Koziello et Yoan Cardinale ont à leur tour débriefé une saison pas comme les autres, les ayant vus tous les deux émerger au haut niveau. En interview comme sur le terrain, le milieu relayeur et le gardien de but ne font pas de complexe. Mieux, ils s'approprient les lieux pour donner le tempo. Rendent le contexte vivant et les sièges mobiles. Interviennent, coupent, orientent, relancent. Vents de fraîcheurs.

"Le déclic ne s'est pas forcément fait sur le terrain"

Messieurs, nous sommes le 29 juin 2015. Le Gym retrouve le chemin de l'entraînement après la 11e place. Qu'est-ce que les jeunes joueurs que vous êtes se disent ?
Vincent Koziello Qu'il faut faire mieux que la saison passée, et qu'avec l'arrivée d'Hatem, notamment, ça sent bon. Surtout que d'autres joueurs signent aussi assez rapidement, comme Mika Seri ou Max' Le Marchand, et que le mercato n'est pas terminé. Sur un plan plus personnel, je me dis que je vais tout donner pour progresser un maximum le plus rapidement possible, et pourquoi pas intégrer l'équipe directement.

Yoan Cardinale Il est complet lui (rires). Quand on a vu le mercato, on s'est dit qu'on avait une belle équipe pour atteindre des objectifs plus élevés que l'année précédente. On s'est tout de suite tous mis au travail pour trouver nos repères ensemble. Personnellement, j'ai démarré comme 3e gardien, un poste assez difficile. Donc je voulais essayer de gagner du temps de jeu dans les matchs amicaux, et pourquoi pas avoir ma chance en L1.

Des départs, des joueurs moins médiatisés qui arrivent (à part Hatem Ben Arfa) : redoutiez-vous une saison compliquée ?
Y.C. Non, parce que dans la vie, il faut prendre des risques. L'OGC Nice le fait par son recrutement, en faisant signer des joueurs qui ne sont pas forcément les plus connus. Mais le travail d'une saison, c'est aussi tous ceux qui sont dans les bureaux qui le font. Et nous, on a entièrement confiance en eux. On sait que si les mecs arrivent, ce sont des joueurs de qualité.

V.K. Moi non plus, je n'avais pas trop de doutes. Je pensais qu'on allait faire une bonne saison. Et puis on a directement senti dans les matchs amicaux que ça allait dans le bon sens.

Y.C. C'est vrai, d'entrée...

V.K. Dès les premiers matchs, le système de jeu, la qualité et l'ambiance. Oui, ça allait le faire...

Viennent ensuite les stages, puis les premières sorties amicales. Vincent, tu démarres d'entrée contre Lausanne. Yoan, tu portes le brassard à l'occasion de la 2e mi-temps de ce même match...
V.K.
J'ai commencé de suite avec l'équipe qui a fait une bonne partie de la saison. On s'est bien trouvés, on a vu qu'Hatem avait ses jambes, que Mika était un super joueur de foot, Max' un très bon défenseur. Le losange fonctionnait plutôt pas mal dès le début. Valère – qui est aussi arrivé tôt – a marqué dès le premier match. Quand on y repense, c'était bon d'entrée et ça s'est bien enchaîné, puisqu'on a tapé des grosses équipes lors de la prépa'. L'idéal pour la confiance...

Y.C. Tout le monde s'est tout de suite senti à l'aise et a pris du plaisir. C'est ça qui a fait que le groupe a pleinement vécu cette saison.

Durant la préparation, le 4-4-2 en losange et le 3-5-2 ont été utilisés. Au final, les bases étaient jetées et aucun autre système n'a été utilisé cette saison (hormis durant la dernière demi-heure à Lille) ?
Y.C. Pourquoi tu veux changer une tactique qui marche ?

Parce que tu peux essayer de t'adapter à ton adversaire tout en gardant les mêmes idées...
Y.C.
Oui, on peut s'adapter à l'autre, c'est sûr. Cette saison, on a plutôt forcé les autres à s'adapter à nous. Beaucoup d'équipes ont d'ailleurs essayé sans y parvenir. Ce système en losange a permis à tout le monde de s'exprimer au mieux. Surtout avec Hatem en pointe haute, qui ne pouvait que nous aider et nous tirer vers le haut...

Y a-t-il eu un déclic avant le début du championnat ?
Y.C.
Le déclic ne s'est pas forcément fait sur le terrain, mais plus dans le groupe qui s'est bâti. En stage, on faisait des jeux le soir, tous ensemble, à l'hôtel. Tout le monde participait, il n'y en avait pas un qui restait dans sa chambre. Nous étions tous présents, nous nous amusions simplement. Même les recrues, même les étrangers. Je pense que c'est là que ça s'est passé, plus qu'ailleurs...

V.K. Je suis d'accord avec Yo'. Je ne sais pas comment ça se déroulait les saisons précédentes, mais là, quasiment chaque soir après le repas, il y avait au moins une quinzaine de joueurs qui descendaient pour jouer et rester ensemble. C'était cool...

Et au final, cette jeunesse et cette fraîcheur sont restées toute la saison et vous ont aidés à être performants.
V.K.
Oui, mais pas seulement, car on a bien su gérer les moments où on pouvait s'amuser et ceux où il fallait être sérieux. Même si nous sommes jeunes, nous avons toujours eu la bonne attitude au bon moment. Les joueurs d'expérience ont sûrement leur part de responsabilité dans cette gestion.

Y.C. Complètement.

V.K. Quand on parle des éléments les plus expérimentés, c'est vrai qu'il n'y en a pas énormément. Mais ils rigolent avec nous. Dans le groupe, on était tous proches les uns des autres.

Y.C. Tous dans le même délire, peu importe l'âge. C'était important, c'est devenu essentiel.

Ça vous était déjà arrivé, même au centre de formation, d'évoluer dans une telle ambiance ?
Y.C.
L'ambiance était là mais ce n'était pas pareil. Au centre, tu es beaucoup plus jeune, il n'y a pas toutes les attentes qu'il peut y avoir aujourd'hui. On a tous le même âge. En pros, il y a de très jeunes, des moins jeunes, des plus vieux, et tout le monde doit tirer dans le même sens, car il y a beaucoup plus de responsabilités.

V.K. Ceci étant, même en discutant avec des joueurs ayant fait plusieurs clubs, ils nous disaient qu'eux-mêmes n'avaient pas vraiment connu de groupe comme le nôtre.

Y.C. Même le coach nous l'a dit. Et il en a connu pas mal...

Au milieu de cette ambiance, les objectifs sportifs ont quand même dû être rapidement fixés ?
Y.C.
Collectivement, nous voulions juste finir le plus haut possible. On savait qu'on avait une belle équipe. Peut-être pas pour jouer les places européennes, mais on savait qu'il y avait du potentiel pour poser des problèmes à beaucoup de monde.

V.K. Le discours du président était de faire mieux que la saison précédente. Sur tous les plans : le sportif, le comportement et vis à vis des supporters. On voulait vraiment avoir une saison tranquille. Finalement, elle a été pleine...

 

"Les 15 premières minutes de la 2e mi-temps à Rennes, c'est le moment où j'ai le plus kiffé"

 

Après une avant-saison réussie, le championnat débute face à Monaco. Vincent, que ressens-tu avant d'entrer sur la pelouse pour un derby, dans la peau d'un titulaire ?
V.K.
Peut-être qu'il y avait une appréhension particulière parce que c'était le début de saison, j'étais nouveau pro, l'un des plus jeunes joueurs de l'équipe de départ. Mais après, il faut rentrer sur le terrain pour jouer. On n'a pas eu de chance sur ce match, mais même si on l'a perdu, on sentait qu'il y avait du jeu et des possibilités.

Yoan, quand tu vois Vincent franchir le pas, qu'en penses-tu ?
Y.C.
On savait qu'il n'allait y avoir aucun problème pour lui, parce que c'est un joueur de très haute qualité, comme on l'a vu par la suite durant toute la saison. Il avait été beaucoup critiqué par rapport à sa taille. Aujourd'hui, il a fait fermer beaucoup de bouches à beaucoup de monde, mais nous, on avait aucun doute, et on était contents pour lui qu'il puisse démarrer la première journée de championnat. Surtout dans un derby, en tant que titulaire : c'était le meilleur moyen de montrer à tout le monde de quoi il était capable.

Et puis le numéro 26 n'a plus bougé du 11 de départ...
V.K.
C'est vrai, j'ai eu la chance de jouer beaucoup de matchs...

Y.C. Tu sais combien t'en as fait ?

V.K. (après réflexion) Il y a eu 38 journées, - 3 où j'étais suspendu, + 3 bancs. Je vais dire 32 en tant que titulaire et 3 entrées contre Lorient, Toulouse et le Gazelec, donc 35 en tout. C'est beau. Et toi ?

Y.C. 25 et demi.

V.K. Finalement, c'est toi (le gardien) qui a le plus joué...

Y.C. Il y a 38 matchs, on ne va pas faire 25 et 25... (rires)

Yoan, justement, tu a débuté contre Rennes, à l'aller. Pensais-tu que ça puisse être le début de la belle aventure que tu as vécue par la suite ?
Y.C.
Bien sûr. Mais je me suis aussi dit que ça pouvait être le début comme la fin, selon la manière dont la rencontre allait se dérouler...

Y avait-il une forme de peur ?
Y.C.
Non, ça ne fait pas peur. Honnêtement, quand j'ai su que j'allais jouer, je me languissais le dimanche. La seule appréhension résidait dans le fait de penser qu'on a potentiellement travaillé toutes ces années pour, au final, se rater sur la première. Ça, ça aurait fait mal. Mais une fois que t'es dans le couloir et que ça va commencer, tu te dis que c'est un match comme les autres, sauf qu'il y a plus de monde que d'habitude. Il faut prendre du plaisir, faire ce que tu sais faire. Et ça s'est plutôt bien passé...

Il faut être costaud pour garder cet état d'esprit-là...
Y.C.
Quand tu es gardien, ça va vite. Une erreur se voit direct au tableau d'affichage. Mais si tu penses comme ça, si tu te dis que tu ne dois pas faire d'erreur sinon tu pars à la cave, c'est fini. Au contraire, il faut partir positif et penser que ça va bien se passer. Ça te donne confiance. A Rennes, on gagne 1-0 et je fais mon premier arrêt à la 19e minute. Je l'effectue plutôt bien, ça m'a mis direct dans le bon tempo. Mes partenaires m'ont aussi aidé, et après cette première intervention, ils ont dû se dire : « Le jeune répond présent, il est là ».

Tu te rappelles donc de la minute de ton premier arrêt en L1...
Y.C.
Eh oui. Je pourrais même refaire le film de toute la rencontre...

Vincent, au coeur d'une prestation collective aboutie, qu'avais-tu pensé de la première de Yoan ?
V.K.
Je n'avais vraiment aucun doute sur lui. Déjà, il a une grande qualité, c'est qu'il n'est pas soumis à la pression. Du coup, quand c'est comme ça et que tu es gardien, un poste ingrat où ça se voit cash si tu te manques, ça se passe bien. Mais tu n'avais pas fait un match de Coupe de la Ligue avant ?

Y.C. Non, c'était après. Rennes, c'était le tout premier.

Une première retransmise en direct sur Canal +, un dimanche soir, devant la France entière...
V.K.
Honnêtement, on n'avait aucun doute sur les capacités de Yo'. Tout à l'heure, il a dit à juste titre que j'étais un peu décrié sur mon gabarit. Lui l'a été aussi. Ça l'a peut-être un peu handicapé à un moment. Mais 25 matchs de L1 en tant que titulaire dans les buts, ce n'est pas rien. Il a sauvé des matchs, nous a maintenus dans d'autres... J'ai joué longtemps avec lui en CFA, c'était pareil à l'étage d'en-dessous, il était souvent déterminant. Cette saison, j'ai plein d'images en tête où il nous maintient dans le match et où on fait la décision derrière. Il a joué un rôle très important tout au long de notre parcours...

Petite question hors contexte, vous est-il arrivé de jouer l'un contre l'autre en jeune ?
Y.C.
Oui.

V.K. En jeunes, c'était un goal qui, apparemment, n'était pas mal balle au pied (rires). Bon maintenant, il s'est un peu calmé en pro... Quand j'étais à Cannes, il m'avait sorti un match de barjot. On avait perdu 1-2, et si c'était quelqu'un d'autre dans la cage, peut-être qu'on aurait gagné.

Sur le plan collectif, Rennes fut également l'un des contenus les plus aboutis du championnat ?
Y.C.
Oui, même si au final, il y en a eu pas mal...

V.K. C'est vrai. Mais honnêtement, moi, les 15 premières minutes de la 2e mi-temps, c'est le moment où j'ai le plus kiffé. Ils n'ont pas touché la balle, on mènait 4-0, et puis finalement on prend un but à la fin, mais c'était très bon.

Y.C. 89e, Grosicki...

V.K. Sur ce match, ce que j'ai bien aimé, c'est qu'en 1ère mi-temps, on a été un peu chahutés. Malgré notre ouverture du score, ils nous ont posé des problèmes. C'était dur, comme à Montpellier. Ce sont ces victoires-là, où il faut lutter, que l'on n'oublie pas.

Y.C. Dans les matchs serrés, il y a encore une autre saveur.

Du coup, quels sont vos matchs préférés de la saison ?
Y.C.
Collectivement ou individuellement ?

Les deux.
Y.C.
Perso', je vais vais dire à Caen en Coupe. C'était vraiment bon. Et collectivement, je vais dire Rennes.

V.K. Là-bas ou ici ?

Y.C. Là-bas. Chez eux, ils ont joué. Chez nous, ce n'était pas le cas, au contraire, ils ont complètement déjoué. Pour moi, on avait plus de mérite à gagner au Roazhon Park qu'à l'Allianz. Sinon, moi je ne l'ai pas joué, mais il y avait aussi Lyon à domicile, dans un contexte particulier. On les avait « trimballés » du début à la fin.

V.K. Individuellement, j'hésite entre St-Etienne et Lyon. Et il y a plusieurs matchs ou collectivement, c'était bien. Au-delà de la qualité, ce qui m'a plu, c'est qu'en fin de saison, toutes les rencontres qu'on devait gagner, surtout à domicile, on a répondu présent. C'était top.

Ce qui n'a pas toujours été le cas et qui a pu porter préjudice dans le passé...
Y.C.
On dit souvent que quand on veut accrocher quelque chose, il faut être irréprochable à la maison. Sur les matchs retours, on a seulement perdu contre Bastia, ce qui n'est pas mal. A la mi-saison, tu es 11e à domicile, 3e à la fin. Ok, il faut prendre des points à l'extérieur tôt ou tard, mais être irréprochable chez nous, c'est primordial.

V.K. On a su tirer profit de l'apport du public. Il a été incroyable, surtout sur la fin...

Ce soutien peut-il expliquer en partie votre final « en bombe » ?
Y.C.
Dans un stade, les supporters peuvent changer la physionomie d'un match. Je ne sais pas comment le faire comprendre, mais quand tu es sur le terrain, ils te transcendent. Quand ils sont comme les nôtres, tu te sens plus fort. C'est con à dire, mais par la voix, par les gestes, on apparaît plus unis, avec plus de responsabilités. On se doit d'être présent ! D'ailleurs, ça peut paraître bête, mais cette saison, ils ne nous ont pas supportés une fois, contre Bastia, et on a fait un match catastrophique. Ce n'est pas leur faute mais la nôtre, mais ça change l'image d'une équipe. Et même à l'extérieur, à chaque fois qu'ils ont été nombreux, on a toujours fait des bons matchs. Guingamp, Rennes, Montpellier : je ne pense pas que ce soit dû au hasard. Quand il sont avec nous, nous sommes tout simplement plus forts, c'est un fait.

Que pensez-vous des joueurs qui affirment « faire abstraction du contexte » quand le match démarre ?
V.K.
Tu fais un peu abstraction, mais tu entends toujours. Quand ils mettent la pression sur l'équipe et que tu écoutes tout le monde crier... Yo' a raison, c'est difficile à décrire. Je ne sais pas, tu as l'impression de moins sentir la fatigue.

Y.C. C'est ça, tu te sens surpuissant. D'ailleurs, ceux qui disent qu'ils font abstraction, je pense que ce sont des menteurs. Quand tu es dans un stade de foot fermé, qu'il y a 35 000 ou 50 000 personnes et qu'ils te disent qu'ils ne les entendent pas, il faut qu'ils me disent comment ils font !

Constantin Djivas

A suivre...