Portrait

Qui es-tu, Ignatius ?

Trois syllabes courtes et sèches venues de loin. Une carrure de puncheur, un nom que l’on retient, un prénom de gladiateur. Sorti du banc face à Naples avec l’insolence du chasseur, Ignatius Ganago incarne l’une des surprises de l’été rouge et noir. A quelques heures du duel des réserves Nice – Monaco (coup d’envoi ce samedi à 18h), celui qui a déjà inscrit un doublé face à l'OM en National 2 a accepté de lever le voile sur son parcours, avec détermination et pudeur.

« Franchement, je ne croyais pas que j’allais rentrer. Je suis parti à l’échauffement, on m’a rappelé sur le banc, je pensais que c’était fini. Mais on m’a renvoyé courir et on m’a lancé. J’étais surpris, content, je me suis dit que j’allais tout donner. » Le 22 août, l’Allianz voit débarquer un nouvel attaquant au moment où son Gym encaisse les coups du Napoli. Les 32 103 spectateurs se questionnent, puis se lèvent à la première étincelle du numéro 37. Nous disputons la 83’, Ganago envoie Albiol cueillir les fraises d’une feinte de frappe onctueuse, attaque la surface et déclenche du gauche, dans un mouvement qui restera la meilleure occasion locale du soir.

Reina s’interpose, Nice s’incline, mais un nouveau visage apparaît dans la paysage. Il trône au sommet d’une robuste carcasse (1,76m, 78 kg) ayant électrifié l’été de la réserve. Les présentations se font par l’action. Le verbe y ajoute, 15 jours plus tard, le juste complément.

Car le parcours d’Ignatius s’est écrit à des milliers de kilomètres de la capitale azuréenne. Au Cameroun et à Douala, dont il est originaire. Né en 1999 dans un pays où le football incarne une religion (champion d’Afrique en titre), le jeune attaquant aiguise ses premières lames très tôt. Celles-ci tailladent les défenses et lui imposent très vite des choix. « J’ai intégré l’Ecole des Brasseries du Cameroun, éclaire-t-il. Pour ça, je suis passé par la Coupe Top, un grand tournoi regroupant des équipes de tout le pays*. A la fin de celui-ci, seuls les 18 meilleurs joueurs du Cameroun ont eu le droit d’entrer au centre. J’étais dans le lot, c’est mon plus beau souvenir... » Petit dernier d’une fratrie de 6 enfants (3 frères et 2 sœurs « qui ne jouent pas au foot mais qui s’y intéressent »), le jeune ado quitte le foyer familial pour intégrer une des plus prestigieuses académies du continent. « Ma mère était contre car elle voulait que je privilégie l’école, mais elle a cédé, car j’aime trop le foot », lâche-t-il le visage joyeux.
 

« QUAND JE SUIS ARRIVÉ, TOUT ALLAIT PLUS VITE »


Entre les bancs de l’école et le terrain, sous l’oeil de ses formateurs et le patronage des glorieux anciens (Eto’o, Song, Djemba Djemba, Olembe, Aboubakar ou Njie sont issus de ce centre), dont les portraits trônent dans les couloirs, les saisons s’enchaînent. Ganago se forme. Adroit devant le but, technique, il évolue à tous les postes de l’attaque et travaille d’arrache-pied, notamment… sa vitesse, « car quand j’étais petit, je n’avais pas de force, j’ai dû bosser pour ». En parallèle, il attire les regards et apprend la patience.

Lors de sa dernière saison aux « Brasseries », tout va finalement s’accélérer. Un tournoi particulièrement réussi se chargera d’appuyer sur le champignon. « Avec 7 buts en 6 matchs, j’ai terminé meilleur buteur de la compétition. Il y avait beaucoup de recruteurs, j’ai eu plusieurs opportunités, mais finalement, j’ai vite choisi le Gym, car je savais que je pouvais y progresser rapidement ». Le Lion Indomptable intègre la réserve cet été. Il écoute et enregistre. Laurent Bonadei le conseille, « notamment en ce qui concerne les appels de balle ».
 

« Ma famille m'a dit que j'aurais dû marquer »


Dans le sillage de la saison chaude, il monte en température. Claque pion sur pion en prépa’ (5 buts en 4 matchs, au total), pèse, débloque : « Je n’aime pas jouer un match et sortir sans marquer », tranche-t-il avec fermeté. A l’étage du dessus, Lucien Favre ne reste pas insensible à ses accélérations. Le technicien l’intègre d’abord aux entraînements, d’où l’attaquant sort « épuisé, vu qu’(il) joue tous les coups à fond » ; puis le retient pour la première fois dans le groupe qui va chercher sa qualification à Amsterdam (le 2 août). Le Suisse l’aiguille, les cadres l’orientent : « Le coach me parle des trucs à améliorer, avoue le Camerounais. Parfois les choses que je connais, comme des contrôles poitrine ou cuisse suivis d’enchaînements, deviennent plus difficiles avec la pression. Dante me parle tout le temps et m’encourage à faire les efforts ; et Mika (Seri) me donne des conseils, me dit ce qu’il faut faire ou pas. »

4 jours après l’exploit d’Amsterdam, Ganago retrouve la réserve pour un dernier match amical face à Cannes. Il monte dans l’ascenseur avec une énorme motivation, signe un doublé, puis un autre lors de la première journée de N2, où le Gym s’impose sur la pelouse de l’OM (2-0). Progressivement, il figure de plus en plus dans le groupe fanion et finit finalement par connaître son baptême du feu face à Naples, lors d’un barrage retour de la Ligue des Champions. « Ma famille a vu le match du Cameroun, elle était contente... », souffle ce fan de Samuel Eto’o.

Avant de conclure : « Mais ils m’ont dit que d’habitude, je ne ratais pas ce genre de but et que j’aurais dû marquer. Je leur ai répondu qu’ils avaient raison mais que ça allait bientôt aller. »

C.D.

 

* La Coupe top rassemble chaque année, pendant la période des vacances scolaires, plus de 5 000 jeunes des 10 régions du Cameroun, âgés de 12 à 14 ans et amoureux du football. Elle sert de test pour les élèves footballeurs, désireux d'accéder à l'Ecole de Football Brasseries du Cameroun.

Le clin d'oeil des supporters

 

Au stade de la Licorne, les supporters niçois ayant fait le déplacement ont entonné un chant pour l'attaquant camerounais. Lequel, en retour, n'a pas manqué de saluer cette belle attention : "Franchement, je ne m'y attendais pas. Sur le coup, il y avait du bruit, donc je n'ai pas tout compris. Ce n'est qu'après, en revoyant le Zap'Gym, que j'ai entendu leur chanson. C'est un plaisir, merci à eux. Et en plus, l'air me plait bien (rires)..."