Portrait

Albert, qui es-tu ?

Profil discret. Garçon posé. Albert Rafetraniaina (18 ans) n'est pas du genre à faire des vagues dans un vestiaire, préférant le rectangle vert pour faire parler son caractère. Préférant l'acte à la parole. Couvé dans la pépinière niçoise depuis ses 15 ans, le natif d'Ambohitrony Manjakandriana (Madagascar) reste à ce jour le plus jeune joueur du Gym à avoir débuté en équipe première (à 16 ans et 27 jours). Il faut dire que le bonhomme n'avait pas de temps à perdre. Sa trajectoire intrigue. Son nom complet pose quelques problèmes aux speakers et autres commentateurs. Son parcours interroge. Ogcnice.com retrace aujourd'hui les grandes lignes d'un itinéraire singulier.

« J'avais 11 ans. Je n'ai pas hésité... »

Montre moi comment tu joues, je te dirai qui tu es : voilà la doctrine implacable pouvant mettre à l'épreuve n'importe quel footballeur. Comme si l'aire de jeu reflétait la personnalité des acteurs qui la foulent au quotidien. Leur âme. Les épreuves de leur vie et la vision qu'ils ont de la suite. Sur le terrain, Albert n'aime pas parler, ne raffole pas des friandises, mais cultive au contraire la discrétion et l'efficacité. L'amour d'un combat sans concession et la volonté d'avancer. Un beau résumé du chemin l'ayant conduit sur la Côte d'Azur. A Nice. Au Gym. Un club et une ville forcément à part pour lui, qu'il rejoindra après avoir quitté son île de naissance et passé deux années à Marseille.

« J'avais 11 ans quand j'ai eu l'occasion de partir de Madagascar » confie l'intéressé. « C'est un pays peu développé, j'ai eu l'opportunité de connaitre une nouvelle vie. Mes parents m'ont donné leur accord, je n'ai pas hésité ». Après avoir goûté au « foot de quartier » tout petit, il se familiarise avec sa nouvelle région, « apprend à mettre de l'agressivité » dans son jeu en 13 ans DH et commence à toucher à ce qui se fait de sérieux en 14 fédéraux. Très vite, il tape dans l'oeil de Gérard Cucchieti, recruteur pour le Gym dans la région marseillaise. Ce dernier, devenu depuis son tuteur légal, reste très proche d'un joueur qu'il considère « comme un fils supplémentaire », et se souvient avec joie. « A 11 ans, il était déjà au-dessus. Je l'ai signalé tout de suite au club, et c'est comme ça que l'aventure a démarré ».

Un an sans jouer, mais « pas le droit de lâcher »

Une « aventure » au sens propre, puisque Albert se heurte à quelques problèmes administratifs. Loin de chez lui et du pré, au moment où tout devrait s'accélérer, et où ses sacrifices devraient commencer à être récompensés. Le jeune homme ne craque pas. « Je suis resté une année au Parc Impérial car je n'avais pas encore l'âge d'intégrer le centre. C'était compliqué car je ne pouvais pas jouer, donc j'ai passé une saison vide, à ne faire que des entraînements à côté des études. Mais je n'avais pas le droit de lâcher, car je savais qu'il y avait ma famille qui comptait sur moi. J'ai vécu dans un pays compliqué, ça forge le caractère ». Forcément.

Il commence à se familiariser avec le fonctionnement du centre en y dormant les week-ends, avant de l'intégrer « à temps complet » lorsqu'il souffle sa 15e bougie. Les lieux lui sont familiers. Ses coéquipiers aussi. Madagascar n'est jamais loin, puisqu'il peut retourner auprès de ses proches durant les vacances. Le train est en marche et ne s'arrêtera plus.

« Contre Reims, mon père m'a appelé pour me demander si c'était moi le 33 »

Il démarre l'aventure victorieuse en Gambardella avant de se blesser, continue à apprendre, et se familiarise pour la première fois avec l'équipe première lors de l'exercice 2012-2013, appelé par Claude Puel. « Franchement, c'est allé vite. Je me rappelle que la première année où je suis monté avec les pros, j'étais ramasseur de balles lors du match face à Ajaccio en début de saison. Et derrière, je me retrouve à jouer contre Reims. Après le match, mon père m'avait appelé ému, pour savoir si c'était bien moi le numéro 33. C'était effectivement moi. Dès mes premiers pas, je ne faisais pas de complexe, je crois que j'étais jeune et inconscient. »

Au point de faire un tour de stade nu, à Corte, lors de la montée de la réserve en CFA. De « kicker » le micro à Charles-Ehrmann dans la foulée, après la 4e place des Aiglons en L1, devant un public survolté. Ou encore de « brûler les planches » avec ses collègues du centre lors d'une représentation au théâtre.

La tête sur les épaules

Autant d'actions restées ancrées dans les mémoires pouvant résumer l'autre facette d'Albert. Joyeuse, pétillante. Celle qu'il ne montre qu'à ceux qu'il connait. Sportivement la saison qui suit le voit mûrir dans son jeu, sous l'impulsion d'un Claude Puel qui lui intime d'être le plus pur possible dans son utilisation du ballon. « Quand je suis arrivé au centre, j'avais quelques difficultés sur le plan technique » reprend-il avec placidité. « Il fallait que je me montre autrement, en partant au charbon. En pro, le coach me dit de récupérer et de donner direct derrière. Au début, c'était un peu difficile, car je pouvais me mettre à chercher une passe compliquée. Mais je sens que j'évolue peu à peu, je gagne en maturité. »

Ce qui se caractérise par des stats en progrès (1 apparition en L1 lors de sa première saison, 4 pour la 2e, et 14 pour l'actuel exercice). Albert est toujours jeune (pas encore 19 ans), porte encore les buts à l'entraînement et les malles en voyage. Il a désormais la double nationalité, compte une sélection en équipe de France des U18, ambitionne « de disputer un maximum de matches » dans l'élite, mais ne rêve pas d'ailleurs ou de vertigineuses hauteurs, la vie lui ayant appris à garder les pieds sur terre. La L1 a également montré qu'il restait inconscient, grâce à quelques tampons distribués à n'importe quel adversaire qui se trouve sur sa route, Zlatan compris.

Il faut dire que la sienne est tumultueuse et qu'il a l'habitude de dégager les embûches.

Montre moi comment tu joues, je te dirai qui tu es.

C.D.