La grande interview (2/2)

De la formation à l'élite

Claude Puel nous a ouvert les portes de son bureau, cette semaine. L'actualité entre parenthèses, le technicien évoquait hier sa vision du métier d'entraîneur. Dans ce second volet, il livre sa conception du football français, de la formation à l'élite.

Comment l'entraîneur que vous êtes caractérise-t-il le football français ?
Notre pays a toujours été assimilé à la formation, bien qu'elle soit décriée sans cesse. Mais elle est nécessaire, d'autant que les gamins ne jouent plus autant dans la rue qu'avant. Beaucoup de clubs se sont mis à nous imiter. Certains ont même fait mieux. Barcelone a insisté sur la technique, et tout un pays en a bénéficié. Mais pendant que de nombreuses nations ont bâti des projets sur dix ans, la France n'a jamais remis en cause sa formation. Oui, nous avons des joueurs de qualité. Mais ils pourraient être bien meilleurs.

A quelles conditions ?
Nous sommes riches par la diversité de nos composantes. Nous avons de la puissance, de la vitesse,... Toutes sortes de profils que les Espagnols ne peuvent avoir. Nous pourrions leur être supérieurs, et c'est le cap qu'il faut se fixer. Nous sommes encore trop focalisés sur la puissance, la percussion. Et tant pis si derrière, le joueur fonce dans un mur, n'arrive jamais à centrer ou marquer. Nous manquons de finesse technique.

Quand avez-vous développé ces convictions ?
Au fur et à mesure. Je n'ai jamais été un grand technicien. Plutôt un joueur de devoir – et il en faut pour faire briller les autres. Mais à Monaco, j'ai eu la chance d'accompagner des talents hors-normes. A leur contact, j'ai beaucoup appris. Comme en bourlinguant, en disputant des Coupes d'Europe, sur le terrain ou depuis le banc. Plus on joue haut, plus les adversaires sont forts techniquement. Il faut développer la sensibilité du joueur. Pied droit, pied gauche, une passe appuyée, franche, rectiligne. Tout s'apprend. Il faut développer « l'intelligence » de nos joueurs en leur donnant toutes sortes de possibilités.

Le football se joue-t-il d'abord avec la tête ?
Un joueur doit comprendre la finalité du geste, du déplacement qu'on lui demande. S'il ne fait que l'appliquer, il retombera rapidement dans ses travers. J'ai passé une semaine à Barcelone. Pas avec l'équipe première mais avec les jeunes. Dès 9 ans, ils apprennent à défendre à deux sur toute la largeur. On développe leur sens de l'anticipation, leur personnalité. Ils passent devant, savent lire le jeu. Puyol et Piqué sont loin d'être des monstres de vitesse. Mais depuis très jeunes, ils pensent plus vite que l'attaquant. Ils n'ont pas peur de défendre en un contre un dans le camp adverse. Ce travail, dès le plus jeune âge, est primordial.

« On hésite trop à lancer nos jeunes »

Le football se pratique à 5, 7 puis 9 – désormais 8. Le modèle français au fil des âges est-il cohérent ?
Lorsque nous sommes passés à 9 contre 9 sur un grand terrain légèrement réduit en Benjamins, la théorie était bonne. Mais clairement inapplicable pour la majorité des clubs. Dans les faits, et par manque d'installations, les enfants se sont effectivement retrouvés à 9 contre 9, mais sur une moitié de terrain. Ils ne faisaient que se rentrer dedans. Du n'importe quoi.

Pour ou contre la création d'un championnat des réserves professionnelles ?
Contre. En ne restant qu’entre-eux, les jeunes ne développent pas leur vice, ni leur malice. J'aime voir nos jeunes se mesurer à des adversaires expérimentés, souvent eux-mêmes passés par centres de formation. Des bons joueurs de ballons, à qui il n'a parfois pas manqué grand-chose pour percer. Face à eux, nos jeunes sont obligés de jouer de l'épaule, ne pas répondre aux provocations.

L'écart entre la Ligue 1 et le CFA reste conséquent...
Oui, là où l'Espagne donne à certaines réserves la possibilité de monter jusqu'en deuxième division. Puis, on ne donne pas suffisamment à nos jeunes les moyens de progresser. En France, les coachs hésitent à les lancer. En National, ils veulent des joueurs confirmés de L2. En L2, eux-mêmes veulent des garçons confirmés de Ligue 1. Dans certains pays, les clubs peuvent envoyer leurs jeunes au sein d'autres clubs affiliés. Ne pourrait-on pas reproduire ces pouponnières en France ?

Le recrutement de joueurs toujours plus jeunes est-il évitable ?
Bien sûr. D'autant qu'il existe des règles. Arracher un enfant de 12-13 ans à son cocon familial, c'est impensable. Et ça ne porte finalement que très peu ses fruits. On ne doit pas extraire un jeune de son environnement avant son quinzième, voire seizième anniversaire. Quitte à le suivre à distance.

« ICI, LES JEUNES ONT L'OCCASION DE SE MONTRER »

L'adolescence en centre de formation ?
Je n'aime pas ce que la France a fait de ses centres. Attention, je ne dis pas que l'on aurait pu faire mieux. Mais je trouve les gamins trop assistés, dépendants. Ils attendent tout, manquent parfois d'ouverture. Dans des sports comme l'athlétisme, le sportif, sans moyens exceptionnels, se débrouille davantage. Le quotidien est plus difficile, mais sans doute plus formateur. Le jeune n'est pas seulement branché football et Playstation. Il est ouvert sur le monde.

L'éducation ne se limite pas au football...
Nous couvrons toutes les couches sociales de la société. Ainsi, certains se retrouvent confrontés pour la première fois à une forme d'autorité. D'où la nécessité de refaire du civisme. Mais à Nice, je dois reconnaître que nos gamins sont particulièrement bien élevés et respectueux. Ce qui ne les empêche pas d'avoir du caractère, de s'affirmer sur un terrain.

De quels arguments dispose aujourd'hui l'OGC Nice pour attirer un jeune talent ?
Même jeunes, les joueurs ont ici l'occasion de se montrer au niveau professionnel. Le projet est en partie basé sur eux. Nous voulons les rendre performants en tant que footballeurs, et en tant qu'hommes. Il faut aussi savoir être patient, leur donner des temps de jeu, les valoriser. De leur côté, eux doivent avant tout penser à jouer au ballon, à s'éclater avec leurs copains.

Ceux qui ne réussissent pas ?
Comme dans tout sport, ils sont très nombreux. Et on en parle effectivement peu. L'échec peut s'avérer cruel. Lorsqu'un rêve s'écoule, les dégâts peuvent être colossaux, à un âge où l'on n'est pas armé. D'où l'importance des parents, qui ne doivent ni mettre une pression supplémentaire à l'enfant, ni vivre leur rêve à travers lui. On parle également peu du chômage, mais de nombreux garçons restent sur le côté. Ils se retrouvent déconnectés, perdus dans la vie active. C'est une montagne qui leur tombe dessus. A l'instar d'une fin de carrière. Le footballeur était adulé. Il était le plus beau, le plus fort et du jour au lendemain, il n'intéresse plus personne. J'ai recroisé des copains aujourd'hui dans le besoin financier, en manque d'affection et de reconnaissance. C'est une facette cachée, certes, mais il ne faut pas l'oublier.

Y.F.