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Au coeur de la préformation

Après une vie au Toulouse FC, Fabrice Garrigues a rejoint l’OGC Nice en 2017. Arrivé au club en tant que responsable de la cellule de recrutement pour la formation et la préformation, passé sur le banc des U17 et de la réserve du club, le technicien (50 ans) est désormais à la tête de la préformation rouge et noir, secteur clef ayant basculé dans le giron de la SASP à la fin de l’année 2019. Entretien. 

Fabrice, avant toute chose, revenons au point de départ : ton passage de la formation à la préformation. Comment s’est-il opéré ?
Avec le retour de M. Rivère et  M. Fournier, ainsi que l’arrivée de M. Ratcliffe dans le nouveau projet, il y a eu beaucoup de changements et des postes à pourvoir. Moi, à la base, je suis un formateur, un éducateur. C’est pour ça qu’en début de saison dernière, j’avais commencé par la réserve, pendant deux mois et demi. Après j’ai enchaîné sur les 17 ans (deux mois) pendant que tout se mettait en place, avant de prendre la direction de la préformation. L’idée principale du club était que je puisse me concentrer sur ma spécialité. J’ai une âme de préformateur. Ce qui m’intéresse, c’est pouvoir exercer ce que j’aime à l’OGC Nice. On m'avait proposé le poste ailleurs, dans des clubs prestigieux, français et étrangers, mais je pense que c’est ici qu’on peut faire quelque chose de très haut niveau.

Qu’est-ce que l’âme d’un préformateur ?
Au cours de mon parcours, j’ai pu faire l’ensemble des catégories. A l’époque, c’était mon ancien entraîneur, Elie Baup, et M. Mombaerts, qui m’avaient soumis cette idée. A Toulouse, je suis passé par l’école de foot, la préfo’, les 17 ans, les 19, la réserve, j’ai été directeur du centre, de la préfo’, toujours avec les jeunes, jamais avec les séniors. C’est en passant par toutes les strates qu’on peut vraiment voir où on est le plus à l’aise pour un joueur et pour un projet. Pour pouvoir bien évaluer et progresser, il faut connaître toutes les dominantes et tous les paramètres, des petits jusqu’en haut. Et moi, ma passion reste la préformation, c’est là que je peux apporter le plus. Je conseille à tout le monde de passer par toutes les étapes de l’apprentissage. C’est un enrichissement énorme.

Quels sont les grands axes de travail de la préformation niçoise ?
Vous ne m’entendrez jamais dire que c’était moins bien avant, car de bonnes choses avaient été mises en place. Mais maintenant on va essayer de professionnaliser ce secteur, à partir des tout petits, parce qu’au-delà de la tranche d’âge 100 % préformation, il y a aussi un gros travail à faire en lien avec l’école de foot. L’étape préformation (des U12 aux U16) est essentielle dans le parcours d’un joueur.

Ce qu’on veut mettre en place, c’est une méthodologie de travail, arriver à avoir des exercices références de bas jusqu’en haut, adopter une philosophie de jeu OGC Nice. Si on veut être un grand club, c’est une nécessité d’avoir une bonne préformation et une très bonne école de foot. L’exemple type actuellement en France, c’est Lyon. Pour leur dernier match de Youth League la saison passée, ils avaient quasiment 80 % de l’équipe qui sortait de l’école de foot et de la préformation. Je crois beaucoup en ça. Ça doit nous permettre d’amener plus de joueurs à la formation, et de meilleur niveau. Dans quelques années, on pourra dire qu’on a bien travaillé – ou pas – si on a quelques titulaires à l’OGC Nice capables de jouer l’Europe et, pourquoi pas, pour certains, d’évoluer dans les équipes nationales. Les gens et les joueurs doivent sentir qu’être à l’OGC Nice est un privilège, parce ce que tout le monde tire dans le même sens, avec les mêmes principes.

Quels sont-ils ?
Les principes de jeu vers l’avant, de jeu en mouvement, de transition à la perte du ballon… Et, bien sûr, les postures et la technique adaptées à ces principes. Il faut que quand les gens voient nos équipes de jeunes, ils sachent que c’est l’OGC Nice, rien qu’en observant la manière dont on joue. L’identité de jeu doit se sentir, on doit défendre en avançant. On veut que cette identité soit la même des U10 aux pros.


"On n'appartient pas à unE ÉQUIPE mais à un club et à un projet"


Cette méthodologie, comme au centre, se base sur des groupes de travail. Pourquoi ?

L’idée, c’est qu’on appartient à un club, à un projet, mais pas à une équipe. Toute la semaine, il y a des groupes d’entraînement et des éducateurs qui travaillent pour l’évolution des joueurs, des 12 aux 15 ans. Et le vendredi, chaque éducateur revient dans sa catégorie pour les matchs du week-end. Pareil pour les joueurs. On joue sur le fait qu’un 13 ans peut jouer en 14, un 14 en 15, un 15 en 17, etc. Pour ne citer qu’un exemple, nous avons recruté un joueur cet été, pour les U15, et depuis le début de la préparation, il est en U17.

Quels sont les aspects de ton travail ?
Ils sont divers. L’idée principale, c’est de mettre notre méthodologie de travail en place et de former nos éducateurs à cette méthodologie qui est tout à fait nouvelle. On va travailler non plus par cycles, mais en fonction des principes de jeu. Mon rôle consiste à manager une équipe, à former les éducateurs, à évaluer et à voir que le suivi entre l’école de foot et la formation est bien fait.

Quid de ce qui se passe au-dessus ?
On a des passerelles à tous les niveaux. Pour moi, c’est un énorme avantage qui peut faire de nous un très grand club. On a une relation très forte avec Manu Pires et la formation, avec le coach Vieira et le staff des pros aussi. Ils nous demandent souvent ce qu’on fait en bas. La réussite dépend de ces passerelles.

Ces passerelles concernent aussi les relations externes au Gym ?
Complètement. J’ai un très bon rapport avec les clubs amateurs du 06. Je pense qu’on peut encore l’améliorer. Je peux comprendre certaines frustrations quand on prend les meilleurs joueurs de tel ou tel club. Ce que j’aimerais leur dire, c’est qu’on n’a pas la prétention de penser qu’on détient la vérité. Au contraire, nous sommes ouverts au dialogue, à l’échange, parce que pour réussir, nous allons avoir besoin d’eux. Ici, les clubs bossent très bien, il y a un gros vivier de talents et je pense que quand un joueur d’ici perce avec les pros, tout le monde ressent une immense fierté. L’autre message que je souhaite leur adresser, c’est que désormais, on met beaucoup de choses en place pour la réussite des joueurs. Le Club a fait des investissements sur de nombreux aspects, pour que les jeunes puissent se développer humainement, sportivement et sur le plan scolaire.

Tu évoquais un peu plus haut la relation avec Manu Pires. Peux-tu l’expliciter ?
Nous sommes deux passionnés avec des personnalités qui font qu’on peut se dire les choses. Il y a de la transversalité et de la transparence entre nous. On échange énormément sur des exercices, sur les joueurs, parce que chaque étape de l’apprentissage demande une pédagogie différente.

Que sont les exercices références ?
Des exercices communs à toutes les équipes du club, qu’on adapte en fonction de la catégorie. Ça peut être des jeux de position, des toros, des exercices de prises d’infos... En préformation, on doit donner une méthode d’apprentissage, une culture de travail, apprendre aux jeunes à jouer ensemble, leur faire bosser la prise d’infos qui est essentielle. En découle une très bonne technique. L’étape 13-15 ans est essentielle pour passer un cap avant d’entrer en formation.


"On évalue toujours mais on ne juge jamais"


Cet âge-là est aussi celui des croissances différentes, avec de nombreux paramètres qui entrent en compte...

C’est ce qui fait le charme de la préformation, qui est vraiment un domaine passionnant. Tu suis au quotidien l’évolution du joueur et surtout l’évolution du garçon. A leur âge, il y a beaucoup d’écoute, mais ils se dispersent aussi beaucoup, donc on travaille la concentration, l’attention, tout en essayant de leur transmettre l’amour du maillot. Au Gym, on n’a pas de critères physiques, ce n’est pas une question de taille ou de poids. On doit savoir évaluer les joueurs en fonction de critères qui leur permettent ou pas de passer dans la catégorie du dessus. J’insiste sur le terme « évaluer » car il est vraiment très important : on évalue toujours mais on ne juge jamais.

Quel regard portes-tu sur la scolarité des joueurs ?
On a bien dit aux joueurs et aux parents que l’identité club serait au-dessus de tout. Et dans cette identité, il y a aussi le scolaire. On s’est rapprochés de beaucoup de collèges sur Nice. La majorité de nos joueurs sont en section sport-études au Parc Impérial. Ils bénéficient d’horaires aménagés, ça se passe très bien. Mais on en a aussi à Mistral, à Saint-Joseph. C’est une nouveauté : on s’ouvre à tout le monde, car on a dans l’idée qu’il faut être capable de faire des cas particuliers. On s’adapte à l’enfant, pour sa réussite. Le foot est un sport collectif, mais c’est l’individu qui passe les étapes et participe à l’esprit de groupe. On a également embauché des surveillants qui assurent le suivi pédagogique des joueurs. Personnellement, j’assiste aux conseils de classe avec les éducateurs et les professeurs. C’est essentiel que les joueurs puissent réussir leur double projet. On sera intransigeant sur l’aspect scolaire et les règles de vie.

Tu assistes aux conseils de classe ?
Je l’ai fait durant toute ma carrière parce que c’est important de faire découvrir aux professeurs qui sont leurs élèves en tant que joueurs. En général, ils ne connaissent pas leur vie ou leur rythme d’entraînement. Il faut arriver à créer énormément d’échanges. Professeur, éducateur, en fin de compte, on fait le même métier. C’est important qu’ils comprennent que l’école est en adéquation avec le foot et que souvent, les règles sont les mêmes. Apprentissage, écoute, attention, respect : ce sont des choses qu’on retrouve dans les deux domaines. Et de notre côté comme du leur, nous savons que chaque enfant est différent.

Comment, justement, inscrire toutes ces différences dans un projet collectif ?
Par du travail et de l’écoute. Dans ce domaine-là, le Club a aussi embauché un préparateur mental, qui va nous aider à développer nos joueurs, mais aussi à mieux les comprendre, parce que l’adolescence est un âge délicat. Je parlais d’investissements réalisés par le Gym, en voilà un exemple. Si je dois en citer d’autres, je vais évoquer les nouveautés : en plus du préparateur mental, nous avons le docteur du centre qui intervient à la préformation, un kiné nous est détaché, les matchs seront filmés, des nouveaux terrains arrivent… Nous avons aussi créé une équipe de U13 à 11, ce qui n’existe pas en France, pour essayer d’évoluer plus vite avec nos joueurs vers le foot à 11, ses principes et ses conditions de jeu. Autre chose : on va faire beaucoup de matchs. Face à nos partenaires du 06, mais aussi contre d’autres clubs pros, Lyon, Montpellier, Monaco, Paris, Toulouse, le pôle espoirs d’Aix. On va recevoir et se déplacer, même si c’est loin. Nous souhaitons que nos joueurs aient la capacité de se confronter à ce qui se fait de mieux dans les clubs français, environ une fois par mois. Ça nous permettra à nous aussi de mieux les évaluer.

Pourquoi est-il important de filmer les joueurs aussi jeunes ?
Parce que la vidéo fait partie des paramètres de l’apprentissage. On a estimé qu’il était essentiel de filmer nos matchs et quelques séances d’entraînement. La vidéo est un outil d’avenir, pour nous comme pour les jeunes. Quand ils sont confrontés à des images d’eux, ils arrivent à se sortir du fait qu’un entraîneur les aime ou ne les aime pas. La vidéo montre la réalité de la situation, les faits. Le joueur se voit, s’évalue, et on travaille ensemble sur les analyses de match ou d’entraînement.


"Nous allons faire un gros travail avec les parents"


A quel moment de la semaine ?

Avec les coachs, on cible les aspects de travail. On filme les ateliers techniques, basés sur des principes bien définis, le week-end on joue, et on fait le bilan chaque lundi. Mais on peut aussi travailler la vidéo avant/après une séance, ou après un match. On fait des montages sur les lignes défensives et offensives, ou bien sur les joueurs au cas par cas. Il y a une cellule vidéo pour la formation qui a du temps pour nous. Nous, entraîneurs, sommes aussi formés à faire des montages. D’une manière générale, à la préformation, nous avons accès à tous les outils de développement du centre, ce qui est une nouveauté. Encore une fois, ce sont des passerelles qui fonctionnent.

Quels rapports entretiens-tu avec les parents des joueurs ?
Il est prouvé que la réussite d’un joueur passe par l’environnement, donc je pense que nous devons être précurseurs dans notre approche et travailler au maximum avec les parents. Quand on s’entraîne, s’ils crient des choses dans la tribune alors que l’entraîneur dit l’inverse, à un moment donné, c’est impossible pour l’enfant. Il y a beaucoup de clubs européens ou de clubs évoluant dans d’autres sports qui ont compris qu’il fallait que le climat d’apprentissage soit meilleur. Donc cette année, on va s’attacher à agir dessus au maximum. Nous aurons des entretiens avec les parents en début de saison, à mi-saison et en fin de saison. Nous allons leur exposer notre projet, discuter avec eux. Nous sommes très disponibles, maintenant ce qu’on veut, c’est qu’ils nous fassent confiance sur la capacité à faire progresser leurs enfants et qu’ils n’interviennent pas dans un domaine qui, des fois, n’est pas le leur. J’aurais un gros travail à faire cette année sur le respect de l’éducateur. Les parents doivent aller dans le même sens que nous pour qu’on puisse travailler ensemble sur la réussite scolaire et footballistique de leurs enfants, car c’est la chose la plus importante. Tout en gardant à l’esprit que nous ne serons pas jugés en fonction des matchs gagnés, mais de notre capacité à sortir des joueurs de niveau européen. Nice a tout pour le faire.

De loin, il est parfois difficile de prendre la mesure de toute la dimension collective de votre travail...
Pourtant elle au coeur de toutes nos activités et de nos choix. Un joueur, par exemple, n’est pas évalué par un entraîneur mais par l’ensemble d’un staff, de la préfo' et de la formation. Les pros viennent voir les séances et les matchs, M. Pires aussi. Grâce aux arrivées de Jo’ Audel, de Marama Vahirua, de Didier Digard, les petits de la préfo’ vont aussi avoir des entraînements spécifiques. Tous les jeudis soirs, Jo’ Audel s’occupera par exemple des attaquants. C’est un plus. Ce qui me plait dans le foot, et encore plus à la préformation, c’est que c’est un laboratoire de recherches. On se creuse la tête, on invente, c’est passionnant. Maintenant, au-delà des discours, la réalité, c’est qu’on doit voir les résultats sur le terrain dans un ou deux ans.

Propos recueillis par C.D.