Interview

« Le Gym, un "grand frère" pour le RC Abidjan »

Voilà deux ans, en juin 2018, le Racing Club d’Abidjan et l’OGC Nice officialisaient un partenariat. Quelle en est la genèse et comment a-t-il évolué depuis ? Les réponses de Logossina Cissé, président du RCA, dont l’équipe première vient d’être sacrée championne de Côte d’Ivoire, pour la première fois de son histoire.

Comment est née l'académie ?
Son histoire est liée à à celle de mon frère (Souleymane Cissé, fondateur du RCA). Il a eu une carrière de footballeur professionnel en Europe. De retour en Afrique, il a pu voir de ses propres yeux la misère et mesurer la chance qu’il avait. Voir des jeunes de son âge dormir dans la rue lui a donné envie d’agir et de fonder l’académie. Au départ, il aidait les personnes seules, les femmes battues, les orphelins et les enfants de la rue.
Mais, étant donné qu'il est footballeur et que le football est très populaire en Afrique, il a eu l’idée de ramener du matériel sportif pour les mobiliser autour de cela. En contrepartie, les jeunes vont à l’école. C’est au coeur du projet. Il a mis cela en place et ça a fonctionné.
Au fur et à mesure, on a fait le choix de séparer ceux qui ont un réel potentiel de footballeur de ceux qui sont là pour le loisir. On a donc créé un groupe élite qui réunit les jeunes qui ont les capacités à percer. On a constaté qu’ils évoluaient très vite et, petit à petit, ils ont souhaité participer aux compétitions dans lesquelles ils ont été performants. On a ensuite fusionné avec un club de D3. Et nous sommes désormais en Ligue 1 (le championnat national de Côte d’Ivoire, ndlr).

Logossina Cissé en compagnie de Frédéric Gioria

Comment a évolué le RCA ?
Pour pérenniser et financer le projet, nous savions que nous avions besoin d’un groupe élite. On a connu des périodes très difficiles financièrement. Mon frère a mis tout ce qu’il avait gagné dans le football dans ce projet. Avec nos petits moyens, on a essayé de structurer en s’inspirant du modèle européen. Sur le plan du football, on sait exactement où on veut aller. On a notamment un service scouting qui couvre l’ensemble du pays.
Nous menons des actions sociales (le club s’est à nouveau montré très actif face à la pandémie du COVID-19, et a bénéficié de l’appui d’INEOS, ndlr). Elles nous confèrent une certaine crédibilité, donc lorsqu’un jeune émerge quelque part, on réussit à l’emmener chez nous. Aujourd’hui, nous avons les meilleurs talents de Côte d’Ivoire. On essaye de les développer pour, demain, pouvoir les envoyer à Nice qui nous a fait confiance. 

« Champions aussi jeunes, ce n'est pas commun... »

Vous venez de célébrer votre 1er titre de champion...
C’est à la fois une joie immense et une grande fierté, surtout au regard du chemin parcouru depuis des années… Des joueurs aussi jeunes qui dominent notre championnat, ce n’est pas commun. Le football africain est très rude, mais ils compensent par une intelligence de jeu. Ils apprennent à éviter les contacts, à anticiper et voir plus vite. Tous nos meilleurs joueurs sont surclassés. On évite volontairement de trop travailler la musculation, pour qu’ils ne cherchent pas à passer en force. Mais au contraire qu’ils puissent compenser avec d’autres qualités, et faire fonctionner leur tête.

Des exemples de jeunes issus du centre qui ont réussi ailleurs que dans le football ?
J’ai deux histoires qui me viennent à l’esprit. Mon frère a croisé un gendarme qui est sorti de la rue grâce à l’académie et qui a aujourd’hui un fils. À 7 ans, il était retourné à l’école grâce à nous. Il a donné le prénom de mon frère à son enfant. On a également rencontré le responsable d’une banque, frère d’un ancien académicien qui était orphelin et qu’on a sorti de la rue. Il est allé au Portugal pour mener sa carrière dans le foot et, par la suite, a pu financer les études de son frère. On ressent beaucoup de fierté et de bonheur dans ces moments-là. C’est très touchant de voir qu’une petite action peut avoir de telles conséquences, notamment pour cet enfant qui va avoir une vie structurée. Ça incite à continuer.

« L'intervention de J.Fournier a été déterminante »

Qu’est-ce qui vous a poussé, à l'époque, à nouer ce partenariat avec l’OGC Nice ? Quelles valeurs partagent les deux institutions ?
Avant de conclure ce partenariat avec Nice, beaucoup de grands clubs étaient intéressés et nous ont soumis des propositions, notamment de rachat de l’académie. Mais nous n’étions pas intéressés. L’intervention de Julien Fournier a fait la différence. On s’est rencontrés et on a échangé. Il s’est déplacé à Abidjan et, lorsqu’on l’a vu avec les enfants de là-bas, on a tout de suite compris qu’au-delà du football, il y avait de vraies valeurs et une dimension humaine. 
De plus, Nice est une ville cosmopolite et le Gym est une équipe qui prône un jeu offensif et de possession. Surtout, c'est un club qui accorde une place aux jeunes. Sur ce point-là, il y a une réelle proximité de valeurs. L’OGC Nice offre notamment une chance de reconversion comme éducateur ou à d’autres postes à ceux qui ne parviennent pas à percer dans le football. À 95% aujourd’hui, les éducateurs du RCA sont d’anciens pensionnaires de l’académie. Ceux qui désirent se reconvertir, et qui ne poursuivent pas leur carrière ailleurs, se voient proposer cette possibilité. On ne les jette pas à la rue, on essaye de les intéresser à quelque chose.

Sur le plan social, comment se concrétise ce partenariat ?
Nous sommes un club jeune et, au départ, une académie. Cela suppose de l’apprentissage et, aujourd’hui, on cherche à profiter du savoir-faire de Nice pour grandir. Dans les domaines du marketing, de la communication ou encore du digital, on essaye de se développer et on souhaite que l’OGC Nice soit le « grand frère » du RCA et nous aide à former nos salariés. L’idée, c’est de se structurer sur place.

Le lien est aussi entretenu par des déplacements à Abidjan…
Julien Fournier, Serge Recordier et Frédéric Gioria notamment sont venus à Abidjan. La talent manager de Lausanne (également propriété d’INEOS, ndlr), aussi. La relation, aujourd’hui, est très forte, après plusieurs mois difficiles l’an dernier. Après le départ de Julien Fournier et Jean-Pierre Rivère du club, on a parlé de résiliation, car ce partenariat est basé sur le choix des hommes. Nous sommes très contents qu’ils soient revenus. Et Bob Ratcliffe est quelqu’un de fantastique, très attachant et qui a une vraie sensibilité pour ce projet. On a pu le mesurer lors de sa venue en février, avant la pandémie.

« Ibrahim Cissé, la première pierre »

Dans le volet sportif, un projet de tournoi annuel pour les jeunes est évoqué.
On a eu cette idée de créer un tournoi, à Abidjan, en invitant en priorité l’OGC Nice. On pense que ça peut être très bénéfique des deux côtés. C’est un échange à la fois culturel et intellectuel. D’abord pour les jeunes, de chez nous et de Nice. Ca leur permettrait de rencontrer des jeunes de leur âge d’autres horizons. L'OGC Nice pourrait, en outre, mesurer le niveau réel des jeunes sur place. De plus, ses éducateurs pourraient se rendre compte de la difficulté pour leurs homologues africains de se développer dans des conditions très éloignées de celles de Nice. Ce serait un tournoi international dans lequel on inviterait un autre club européen et les meilleures académies de la sous-région voire du continent africain. Il serait basé sur l’amitié, la solidarité et la collaboration entre l’OGC Nice et le RCA, deux institutions très proches.

Ibrahim Cissé, formé au RCA, a rejoint l’OGC Nice à l'été 2018 (prêté 6 mois à Famalicao en D1 portugaise, il a rejoint la Berrichone de Châteauroux cet été pour un nouveau prêt d'une saison, sans option d'achat). Peut-on s’attendre à de nouvelles arrivées de jeunes talents africains ?
C’est le but de ce partenariat. Cissé a été la première pierre et a marqué le démarrage du projet. Certains jeunes ont déjà été repérés par le club et l’ambition, c’est de leur offrir les meilleurs talents d’Afrique. On a l’objectif, dans les prochaines années, de sortir le ballon d’or africain. Parmi les jeunes actuels, on a notamment Brahima Ouattara, qui a été élu meilleur espoir de Côte d’Ivoire la saison dernière, Jean N’guessan, qui est bien parti pour décrocher cette distinction cette année, ou encore l’attaquant Traoré Seydou qui devrait faire parler de lui. Ce sont des joueurs qui ont un vrai potentiel et beaucoup de talent. Ils n’iront pas tous à Nice, mais le club a tout de même un intérêt financier sur ceux qui ne partiront pas au Gym.

Photos Y.F.