Interview

Recordier, l'histoire d'un retour

« Bonjour, ça va ? Voilà, juste pour dire que je suis revenu ». Le 23 septembre, il est réapparu comme il était parti : avec classe et discrétion. Pourtant il n’y avait qu’à voir l’effet produit dans les couloirs du centre d’entraînement pour sentir qu’au-delà du « recruteur », c’est un monsieur qui rentrait. Ne comptez pas sur Serge Recordier pour « rouler des mécaniques ». Avec son immuable accent chantant - marque de son Vaucluse natal, le recruteur (57 ans) préfère l’ombre à la lumière. Après une pige d’une année à Monaco, il a pourtant accepté de forcer sa nature pour nous parler de lui. De son départ, de son retour et de son monde.

Serge, comment s’est déroulé ton retour ?
Julien Fournier a pris contact avec moi ces dernières semaines. Il m’a proposé de revenir. Il m’a demandé si je voulais faire partie de ce nouveau projet. J’ai dit oui. Bien sûr que j’étais intéressé. Je suis resté longtemps, on a fait du bon travail tous ensemble, notamment avec Jean-Phi Mattio, que je connais très bien. Je me disais que ça serait bien de vivre cette aventure.

Pour quelles raisons avais-tu quitté le club en 2018 ?
Parce que ça faisait longtemps que j’y étais. Ça faisait 12 ans, j’avais l’impression (il marque un temps d’arrêt)... Je me disais qu’il fallait que je me remette en question et en difficulté. Monaco était un challenge intéressant, qui me permettait en plus de rester dans la région. J’ai fait ma formation de joueur là-bas, j’y suis arrivé à 14 ans, j’y suis passé pro, j’y suis resté 8 ans, j’ai eu des sélections nationales de jeunes, j’ai été champion de France avec l’équipe (lors de la saison 1981-82)... Je voulais voir, j’ai vu. Ça ne s’est pas passé comme je le voulais. Je n’ai ni l’habitude de dire du mal, ni de regretter. C’est comme ça. J’ai eu la chance que l’OGC Nice me rappelle, et même si j’avais d’autres opportunités, je n’ai pas hésité. Je suis hyper heureux de revenir dans mon club, parce que c’est le club où je suis resté le plus longtemps dans ma carrière. Un club que j’aime et où je peux faire ce que j’aime.

C’est-à-dire ?
A Monaco, j’avais plus de responsabilités au niveau de la cellule. Mais pour dire la vérité, autant je suis capable de prendre position pour un joueur et dire qu’il faut y aller, autant diriger une équipe, ce n’est pas ce que je recherche. Je suis meilleur pour découvrir un joueur, donner mon avis et m’impliquer. Ça, ça me rend heureux. La considération pour le travail de toute la cellule aussi. C’est pour ça que je suis content d’être revenu, il y a beaucoup de personnes que j’apprécie ici, ça s’est toujours bien passé. 

 

« Dans ce métier, comme dans la vie, on ne fait pas grand-chose tout seul »



Durant ta saison hors du club, est-ce que tu continuais à jeter un œil sur ce qui se passait ici ?

Bien sûr. Il y avait des nouveaux joueurs : Christophe Herelle, Youcef Atal. J’avais participé au recrutement, avec mes collègues, donc je voulais voir ce que ça donnait.

Et alors ?
Je n’ai pas été déçu. Atal, on va dire que ça a été un coup de coeur. Je l’ai vu sur un match contre Mouscron, ce n’était pas facile. Mes collègues l’ont aussi supervisé. On est tous tombés amoureux de ce joueur, parce qu’il a des caractéristiques qu’on ne voit pas souvent. Il va vite, tout ce qu’il fait est naturel, il a la joie de jouer. Herelle, on l’avait aussi vu depuis longtemps. On savait qu’il pouvait jouer central ou arrière-droit. Après, Danilo a fait une saison en demi-teinte en raison des blessures, il n’a pas encore pu s’exprimer.

Dans quel rôle reviens-tu ?
Je suis recruteur, comme tous mes camarades. Ni plus, ni moins. Dans ce métier, comme dans la vie, on ne fait pas grand-chose tout seul, donc je préfère parler du travail que nous faisons tous ensemble. On va voir des matchs, on fait nos rapports, on échange. Nous avons des réunions très souvent avec Julien Fournier et tous les scouts. Nous sommes au service du club et de l’entraîneur, Patrick Vieira. Il a été champion du monde, possède un passé de footballeur énorme, mais c’est encore un jeune entraîneur et je pense qu’il a besoin de sentir qu’il est entouré par des personnes de confiance. Je ferai tout pour qu’il ait confiance en moi et pour l’aider au maximum.

Que change l’arrivée d’INEOS dans ton travail ?
Il va falloir qu’on soit encore meilleur. Après, si demain on voit un Atal, un Herelle ou un Boudaoui – des jeunes joueurs qui ont un potentiel -, il ne faut pas s’interdire ce genre de recrutement. Par contre, on sait aujourd’hui que peut-être, sans dépenser des fortunes, on a forcément un peu plus de moyens. Par le passé, on a eu des difficultés à recruter un joueur comme Marcus Thuram, qui est parti en Allemagne pour un certain montant… Si aujourd’hui ce type de joueurs nous intéresse, on peut se permettre ce genre de transferts. C’est pour ça que là, il ne faudra pas se tromper. Autant c’est arrivé, par le passé, de se tromper. Ça m’est bien entendu arrivé à moi, aussi. Autant aujourd’hui, quand on voit les sommes investies dans le football, il va falloir réduire la marge d’erreur. C’est important.

Comment travaille-t-on à réduire la marge d’erreur ?
En regardant les matchs beaucoup de fois. Le métier de recruteur est un métier de passion. On va assister aux rencontres, on rentre, on fait nos rapports et une fois qu’on est à la maison, le travail continue. Tu as besoin de regarder, encore et encore, pour réduire au maximum l’incertitude. Après, le côté humain est toujours difficile à contrôler. Par contre, en revoyant le joueur à de nombreuses reprises, en prenant des tas d’informations à son sujet, toujours dans la discrétion, tu mets toutes les chances de ton côté.


Curiosité, discrétion


Tu évoques la discrétion. Elle est essentielle ?
Elle est obligatoire. Dans notre métier, il y a beaucoup de concurrence, donc il faut être curieux et ouvert pour se donner les moyens de réussir. Prendre les informations sur le joueur, sur son hygiène de vie, sa mentalité, ça fait partie de notre rôle. Mais en même temps, il faut faire attention, parce qu’en demandant des infos, forcément, on alerte d’autres clubs, d’autres recruteurs. Si nous commençons à suivre un joueur, ça veut dire que d’autres peuvent se mettre à le suivre aussi. Donc il faut être curieux mais, en même temps, assez intelligent pour rester le plus discret possible. Ce n’est pas facile.

Quelle est la part d’improvisation dans le métier de recruteur ?
On a des programmes bien établis, mais il peut toujours y avoir quelque chose d’inattendu. L’année dernière, j’étais parti voir Mouscron – Courtrai pour suivre l’attaquant de Mouscron, et puis finalement, on a découvert tous ensemble Youcef Atal. Parfois on part voir un joueur et on en remarque un autre. Ça ne m’est pas arrivé souvent, mais ça m’est arrivé. C’est ce qu’on appelle un coup de chance, comme avec Ricardo Pereira.

Ricardo ?
Au début, je le voyais jouer ailier droit à Guimaraes. Il avait à 18 ans, des qualités, mais je le trouvais imprécis dans ses centres et au niveau de la finition. Je pensais qu’il lui manquait beaucoup de choses. Une fois, je vais voir un match à Estoril, contre Guimaraes, il débute ailier droit et au bout de 10-15 minutes, l’arrière est expulsé et il recule d’un cran. Et là, il a été super fort… Je l’ai raconté au joueur, quelques mois après, il n’en revenait pas que j’aie assisté à ce match-là. Des fois, comme j’ai dit, il y a des coups de chance. Il ne faut pas s’en priver.

Propos recueillis par C.D.