Interview

Hello, mister Cook

Affûté comme une arbalète, capable de s’envoyer « une série de fentes » sans lever un cil, il est celui que l’on voit toujours et que l’on entend rarement. Arrivé à l’été 2018, en même temps que Patrick Vieira, Christian Lattanzio et Kristian Wilson, Matt Cook dirige la partie physique du travail des Aiglons. En ce stage de Divonne, la possibilité d’échanger avec l’adjoint pour mieux comprendre les efforts du groupe s’est offerte sur un plateau. Nous en avons profité. Mieux, nous nous sommes régalés. Si bien que le cap athlétique a rapidement été sacrifié sur l’autel d’un entretien plus personnel. Plus fort. La glace brisée, ce Londonien pur souche, avec son accent, son Anglais, ses bons mots et ses idées, nous a permis d’entrer dans un univers où le hasard n’a pas sa place.


Matt Cook, côté pro


Matt, les joueurs semblent souffrir en ce début d’été, mais ils tiennent le coup…
Nous leur avons donné un programme de courses et de renforcement musculaire pour être dans de bonnes conditions avant la reprise, après une coupure de 3 semaines. Ils l’ont bien respecté. Il y a aussi un petit groupe de joueurs blessés en fin de saison dernière qui est revenu deux semaines plus tôt que le reste de l’effectif, pour rattraper son retard.

Es-tu satisfait du match contre le PSV ?
Oui, car nous avons pu manager les temps de jeu, ce qui est important. Certains joueurs ont fait 30 minutes comme Myziane, beaucoup en ont disputé 45. Racine (Coly) et Andy (Pelmard) ont pris part à l’intégralité de la rencontre, mais ils ont débuté sur un côté, avant de se recentrer dans l’axe de la défense, où il y a moins de courses à effectuer. Cette gestion des temps de jeu nous a permis d’éviter d’éventuelles blessures pour ce premier match.

Les joueurs travaillent toujours avec le ballon. Peux-tu nous expliquer ?
La meilleure manière d’être prêt physiquement à jouer au football est de jouer au football. C’est ce que nous avons fait dès la reprise. Je pense qu’il n’y a pas d’intérêt à courir autour du terrain, donc tout notre travail physique s’effectue avec le ballon. On essaie de construire des exercices qui reproduisent notre manière de jouer, pour gagner du temps et, surtout, pour faire gagner du temps à Patrick et aux joueurs.


« Chaque semaine est un nouveau palier »


D’où vient cette méthode ?

A l’origine, je crois qu’un professeur portugais a enseigné cette approche, qui se nomme « Tactical Periodization ». Ensuite, Mourinho l’a popularisée. Depuis, beaucoup de coachs espagnols l’ont utilisée et cela a été repris par des équipes du monde entier.

Quand as-tu commencé à l’utiliser ?
Dès que je suis arrivé dans le football. Et même avant, si on y réfléchit bien. Avant l’académie de City, j’ai travaillé pendant 7 ans pour les sports olympiques anglais : la natation, le vélo, le squash et même le rugby. Au squash, c’était déjà ma méthode de travail.

C’est-à-dire ?
Quand je suis arrivé, les joueurs effectuaient de longs footings. Au bout de deux semaines, je suis allé voir l’entraîneur pour lui dire que dans le squash, ils ne reproduisaient jamais ce type d’efforts. Nous avons proposé des exercices adaptés à ce sport fait de courtes et intenses accélérations et de nombreux changements de direction. J’ai transposé cette manière de travailler à mon arrivée à l’académie de Manchester City, en 2011. Je me souviens aussi qu’en tant que joueur, au milieu des années 90, on effectuait beaucoup de courses longue distance. Cette expérience m’a convaincu de développer une méthode dans laquelle le ballon est partout, où on travaille en même temps le physique, les aspects tactiques et techniques du jeu. Tu dois pratiquer ton sport le plus possible pour être performant, ça se vérifie de partout. Or, si dans une séance d’une heure et demie, tu as une demi-heure de footing, puis une heure de jeu, tu perds une demi-heure où tu aurais pu progresser et faire comprendre aux joueurs la tactique souhaitée par Patrick (Vieira). Il faut pratiquer. (il insiste) Pratiquer pour devenir meilleur.

Existe-t-il des paliers dans la préparation physique ?
Chaque semaine est un nouveau palier. Pendant les 3 premières, on augmente progressivement l’intensité et le volume. Lors des 2 premiers matchs de la saison, les joueurs ne seront pas complètement « match fit » car lors 6 premières semaines, tu construis ton volume de travail, et même si tu joues des matchs de compétition, tu continues à beaucoup bosser en milieu de semaine. Durant ces 6 premières semaines, les joueurs progressent et nous ajustons le travail en fonction de ce qu’on voit aussi sur les matchs et de ce que les GPS nous rapportent.


« Tout travail physique est un travail total »


Les GPS sont importants dans ton travail ?

Quand tu regardes un entraînement, tu as une idée de l’intensité et du travail fourni. Le GPS te donne une confirmation de ce que tu as vu, mais il peut aussi te montrer où tu t’es trompé. C’est une mesure objective de ce qui s’est passé sur le plan physique. Il t’aide à préparer les séances suivantes.

Comment, justement, s’articule la préparation des séances ?
Patrick nous explique ce qu’il veut améliorer sur le plan tactique et la manière pour y arriver. Avec lui et les autres membres du staff, on s’assied et on échange. Je leur donne ma vision, sur le plan physique, le type de travail que nous devrons réaliser, comment nous pouvons y parvenir. Patrick établit le contenu de la séance en fonction de tous ces critères. Les coachs ajustent et définissent les rôles de chacun durant la séance. Mon travail consiste à prendre ces informations et d’aider à les structurer, afin que nous ne fassions pas trop d'une chose et pas assez d'une autre, que nous ne fassions pas le mauvais type de travail physique au mauvais moment.

Quelle est la part de préparation invisible dans un processus global ?
Elle est fondamentale et aussi importante que l’entraînement. Tout travail physique est un travail total : la manière dont ton corps s’y adaptera dépend entièrement de ce que tu fais.

Peux-tu expliciter ?
Le succès se construit à chaque moment. Si tu fais des mauvaises choses à côté, tu perds 50% ou 60% des bénéfices de l’entraînement. Au contraire, si tu adoptes de bonnes habitudes, tu récoltes 80% ou 90% des bénéfices. Les deux choses absolument fondamentales, pour permettre au corps d’être performant, sont le sommeil et la nutrition. Si tu dors bien et que tu manges correctement, tu peux capitaliser sur ton travail. Prévoir les bons menus et s’assurer que les joueurs ont un temps de sommeil conséquent est crucial. C’est pour ça qu’il faut leur offrir un maximum d’opportunités de se reposer entre les séances. Les kinés et l’ostéopathe effectuent également un travail remarquable, il faut le souligner. Après, il y a plusieurs éléments qui favorisent la récupération, comme les bains froids, par exemple. Toutes ces choses mises bout à bout permettent aux joueurs de s’adapter à l’entraînement et de récupérer.

On entend beaucoup parler de physique l’été. Mais durant une semaine classique de championnat, qu’en est-il ?
Il y a toujours deux jours au milieu de la semaine ou c’est « hard » physiquement. Mais, bien sûr, toujours avec le ballon (sourire).

Ton travail s’arrête-t-il aux joueurs de champ ?
Non, on échange aussi pour les gardiens, avec Lionel (Letizi), Bernard (Cora) et les autres préparateurs physiques. La plupart de leur travail physique s’effectue en salle.

 

Matt Cook, côté perso'


A titre personnel, as-tu joué au football ?

Oui, j’étais gardien, mais pas vraiment bon. Jeune, j’ai joué pour West Ham, et Peterborough. J’ai évolué au niveau semi-professionnel quand j’étudiais. Mais franchement, je n’étais pas le meilleur (rires).

Un club de coeur ?
Petit, j’étais fan de Tottenham. Je suis né à Londres, mon père est né à Wembley, mon oncle, toute ma famille était pour Tottenham.

Tottenham, l’ennemi du Arsenal de Patrick Vieira…
C’est ça. J’étais jaloux de leur style de jeu qui ressemblait à celui du Tottenham de la belle époque. Mais je ne me suis pas mis à les supporter pour autant, parce qu’il y a des choses qui ne peuvent pas changer (sourire).

Avec le staff, vous vous connaissez depuis un certain moment.
Avec Patrick, Christian et Kristian, on se connaît depuis que Patrick a commencé à entraîner, en 2013. Je travaillais à l’Académie quand il a pris les rênes de l’équipe réserve de Manchester City. Je l’aidais à comprendre les exercices physiques qu’il pouvait utiliser dans le jeu. Et maintenant, Fred et Lionel s’inscrivent dans le même processus. C’est très difficile de travailler en intégrant les aspects physique, technique et tactique. Si tu ne passes pas de longs moments ensemble, à discuter des exercices et de la planification, à parler du jeu et de ce qu’attend le coach, tu ne peux pas y arriver.


« Certains font tout ce qu’il faut pour réussir, d’autres non : ça n’a rien à voir avec le pays »


Tu as travaillé en Angleterre, aux Etats-Unis et en France : existe-t-il des différences de mentalité entre les joueurs et les pays ?

Il y a des joueurs très professionnels en France et d’autres qui ne le sont pas réellement. En Angleterre et aux USA, c’est exactement la même chose. Ça n’a rien à voir avec le pays. Certains font tout ce qu’il faut pour réussir, d’autres non.

Votre méthode de travail va-t-elle évoluer par rapport à la saison précédente ?
Oui. J’ai appris de l’année dernière. Par exemple, nous allons faire plus de travail aérobique au début de la préparation et nous allons sûrement le conserver tout au long de la saison. C’est l’enseignement principal que nous avons tiré du précédent exercice. Nous avons réalisé que nous devions nous adapter, non pas au pays, mais au groupe de joueurs que nous avions ici.

Ce qui veut dire que désormais, les joueurs sont plus prêts ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aura plus de temps d’adaptation, chez eux comme chez nous. Quand tu arrives dans un club, c’est difficile d’être performant rapidement, car tous les groupes sont différents et tu dois comprendre les besoins. Même à l’intérieur de chaque groupe, chaque joueur est différent.

La prépa’, est-ce le moment le plus important de ta saison ?
C’est une bonne question. (Après réflexion) C’est le temps où je suis le plus occupé, car c’est le moment où on fait le plus de travail physique et où il faut toujours s’adapter. Je dois proposer des entraînements pour ceux qui arrivent avec une semaine de retard, comme Khephren. Nous travaillerons aussi avec Youcef, Malang et plus généralement, avec les joueurs en sélection, pour que Patrick puisse les utiliser le plus vite possible à leur retour. La préparation est aussi le moment le plus risqué car les joueurs reviennent de vacances et doivent se construire une condition physique rapidement. Mais pour être honnête, le travail ne s’arrête jamais. Tu dois être au top tout le temps, gérer les blessures, etc.


« Je ne me sens jamais content »


T’arrive-t-il d’être satisfait de ton travail ?

Jamais (rires). Il y a toujours quelque chose à améliorer. Dans tous les domaines. Je ne me sens jamais content.

Au contraire, qu’est-ce qui te rend triste ?
Quand on perd ou quand je vois une équipe qui, physiquement, est meilleure que nous. Vraiment, je n’aime pas ça. Tout comme les blessures. La seule chose qui me rend heureux, ce sont mes enfants. Dans le travail, on peut toujours faire mieux.

A l’Allianz Riviera, tu observes toujours les matchs du Gym au-dessus de la tribune de presse. Pourquoi ?
La première raison, c’est que je ne voyage pas avec l’équipe lors des matchs à l’extérieur. Je reste avec les joueurs hors du groupe pour les faire travailler. Je ne veux pas déranger la routine du staff et du coach en venant sur le banc à domicile. Leur routine doit être la même à l’extérieur et à domicile. La 2e, c’est que j’aime cette vue aérienne, elle me permet de mieux observer ce qui se passe réellement sur le terrain. En bas, tu te focalises sur le ballon et ce qui se déroule autour. En haut, je prends des notes et je vérifie à la vidéo si j’ai vu juste.

Profites-tu des matchs ?
Seulement quand on gagne ! (sourire) C’est « une drôle de sorte de plaisir ». Ce n’est pas le même que quand je vois mes enfants jouer. Il y a du stress et du plaisir en même temps. 

Es-tu focus sur le physique quand tu regardes un match ?
Clairement. Je regarde toujours toutes les choses à améliorer, même si je m’intéresse aussi au score et au jeu.

Qu’est-ce qu’un joueur physique ?
La plupart des joueurs sont bons dans un domaine physique mais moins dans d’autres. Certains sont des coureurs fantastiques mais ne sont pas au top balle au pied ou n’accélèrent pas vite. Et inversement, d’autres accélèrent mais ne sont pas bons dans les changements de direction. Il y a vraiment très peu de joueurs à l'aise dans tous les domaines. C’est pourquoi on essaie d’individualiser au maximum le travail physique, afin de combler leurs faiblesses.

As-tu un exemple de travail individualisé ?
Bien sûr. Mais ça reste entre les coachs et moi.

Quel joueur a tout ce qu’il faut ?
(Il réfléchit) Chaque poste est différent. Dante, pour sa position, a beaucoup de qualités. Atal, Ganago ou Allan aussi. La plupart des joueurs que nous avons ont les bons attributs par rapport à leur position, mais il y a toujours une chose ou deux à améliorer, car on peut toujours faire mieux.

As-tu un œil sur la préparation des jeunes du centre de formation ?
A notre arrivée, nous nous sommes concentrés uniquement sur l’équipe première car il fallait d’abord mettre en place notre travail avec les pros. Puis, en février - mars, j’ai commencé à impliquer de plus en plus Flo (Payet), Samir (Anba) et Arthur (Leblanc) (les préparateurs physiques du centre, ndlr). D’abord en leur expliquant notre travail en dehors du terrain, en salle ; puis, dans un second temps, ce que nous attendons des jeunes qui montent avec nous, les efforts qu’ils doivent être en mesure de fournir quand ils franchissent le cap. En haut, des mecs de 17, 18, 19 ou 20 ans doivent pouvoir suivre. On en a parlé ensemble et on a adapté le contenu des séances. On a aussi parlé avec Flo de la structure des semaines et de la planification des entraînements. Pour être honnête, l’équipe réserve travaillait déjà beaucoup comme nous, ils avaient l’idée de développer le physique en même temps que les autres aspects du jeu. Ca n’a donc pas été un grand bouleversement.

Quand le Gym recrute un joueur, échanges-tu avec le préparateur physique d'en face ? 
Je le faisais toujours en Angleterre. Là, avec mon français, je demande à Christopher (Juras, préparateur physique) de les appeler car il y a toujours des différences. Il n’y a pas un staff qui travaille de la même manière qu’un autre. C’est impossible. Lorsqu’un joueur change de club, il traverse une période de transition et doit comprendre notre manière de travailler. C’est un "process" qui prend du temps.

Et avec les préparateurs en général ?
Depuis que je suis en France, je n’ai pas encore eu l’occasion d’échanger avec mes homologues. En grande partie à cause de la langue, mais je vais progresser (sourire). Par contre j’ai des amis préparateurs physiques dans d’autres sports, avec qui on discute beaucoup.

Propos recueillis par F.H / C.D.