Le témoin

Paganelli : « Le Berger est venu à la maison... »

Un Nice – Saint-Etienne. L’envie d’appeler Laurent Paganelli, pour l’ensemble de son œuvre. Un homme du Sud (d’Avignon), une carrière de joueur chez les Verts (où il fut lancé en L1 à l’âge de 15 ans), un rôle de consultant (emblématique) sur Canal +. Une trame de questions préparées à l’avance. Un peu de pression, beaucoup d’excitation. Quelques textos échangés, quelques émojis lâchés, et finalement, le téléphone qui se décroche : « Oh, tu peux me tutoyer si tu veux. Il n’y a que ma belle-mère qui me vouvoie. Qu’est-ce que tu veux, elle n’y arrive pas ». L’homme au bout du fil est le même qu’à la télé. La trame de questions restera au chaud, dans un cahier fermé…

Paga’, Nice – St-Etienne, à quoi ça te fait penser spontanément ?
Au passé. J’ai grandi avec des matchs incroyables. Baratelli, Katalinski, Molitor, Huck et Jouve d’un côté ; Bereta, Rocheteau et toute la clique de l’autre. C’était quelque chose... Je me rappelle avoir joué au Ray, une fois on avait gagné (4-1) avec Platini. C’étaient des vrais matchs de foot, des matchs d’hommes où tu te démontais (sic) et où il y avait un niveau technique élevé. C’était chaud, c’était bon, ça sentait la poudre. Je suis nostalgique des Nice - Sainté de l’époque.

Pourquoi ?
Pour tout. Les maillots, l’ambiance, les joueurs... J’adorais le Ray, les vestiaires, le stade, la pelouse, les gens derrière les buts. J’y avais joué en jeunes, avec l’équipe Sud-Est, ça me faisait vibrer. Le nouveau stade est magnifique, mais le Ray, c’est mon enfance.

Pour les Niçois les plus anciens, Nice – Saint-Etienne restera toujours associé à M. Wurtz...
Pourquoi ?

Le match de 1975-76, qui avait fait perdre le titre au Gym...
J’en ai un souvenir un peu flou. Mais venant de M. Wurtz, ça ne m’étonne pas (rire). Il était « particulier », on l’adorait pour ça. Il pouvait faire des choses insensées, déstabiliser des joueurs et des équipes à lui seul. Un match comme ça, il pouvait le faire exploser.

Il avait dû quitter le stade sous escorte…
Ça ne m’étonne pas. De nos jours, il y a tellement de choses qui se succèdent que tu oublies rapidement. Avant, ce n’était pas le cas. Quand quelque chose se passait, et encore plus quand on se faisait voler par un arbitre, on en discutait toute la semaine, tout le mois, toute l’année. On jouait aux cartes et on se le ressassait, on n’en dormait pas. Il n’y avait que le travail et le foot, alors quand on était lésé, on était touché en plein coeur. Ça pouvait nous faire haïr un arbitre toute notre vie.

Le foot te fait-il toujours autant plaisir ?
Oui. Je l’ai vécu de tous les côtés, dans tous les moments. La différence entre les époques, c’est qu’aujourd’hui, des gens qui n’aiment pas le foot peuvent en vivre. Maintenant, tu entends surtout parler du négatif. 10 joueurs sont bons et un mauvais, tu verras forcément le mauvais pointé du doigt. Ça n’a pas toujours été le cas et ce ne sera jamais le mien. Je préfère être positif et me faire plaisir.

Le foot est-il devenu trop sérieux ?
Vraiment trop !

Comment ça se manifeste ?
Tout s’est fermé. Je vais te prendre un exemple, sans vouloir faire le vieux con. Quand je jouais à Saint-Etienne – tiens, d’ailleurs, mon 1er but c’était contre Nice - , avant le match, on traversait la foule pour aller s’échauffer sur le terrain annexe, on faisait un sprint et en avant. A la fin de la rencontre, les journalistes entraient dans le vestiaire, on parlait avec eux avant d’écouter le coach. Pour moi, c’est ça le foot. Tout le monde est ensemble. J’ai grandi avec ça.

« On n’est ni à l’opéra, ni au théâtre, ni au tennis, ni au golf »

Désormais, il y a plus de barrières ?
Certes, mais ce n’est pas pour ça que je vais changer. A Canal, on me reproche souvent d’arriver un peu tard aux matchs, mais ce n’est pas le cas (il rit). Ce que j’aime, c’est venir 3 heures avant que ça ne démarre et parler avec tout le monde, les supporters, les stadiers, les mecs qui s’occupent de la pelouse, les kinés, les adjoints, les coachs, le gardien du stade, le président... Eux vivent au quotidien avec le club. Quand tu échanges avec eux, tu t’imprègnes de l’atmosphère, tu as toutes les données en tête. Au moment où le match débute, je suis tellement prêt que je pourrais entrer sur le terrain. Je n’ai pas envie de m’éloigner des gens et de ce qui fait la profondeur du foot. La proximité est capitale. Même à Sainté en pro, on vivait proche des gens. Le foot n’est pas quelque chose de sérieux.

Peux-tu expliciter ?
Que les joueurs s’investissent, c’est normal, c’est leur travail, mais à côté de ça, ce n’est qu’un jeu. Rien qu’un jeu. C’est pour ça que je suis contre tout ce qui l’enferme. Le but, c’est de donner du plaisir aux gens. Même si tu perds, il faut t’éclater. Tu bosses toute la semaine, tu n’as pas envie de voir une purge au stade, car c’est censé être un loisir, un spectacle. Tu payes et tu prends sur ton temps pour y assister. C’est comme les levers de rideau… On les a arrêtés pour « préserver la pelouse ». Non mais tu te rends compte où on en est arrivé ? Il faut remettre un peu de simplicité dans les choses et remettre le foot à sa place. On n’est ni à l’opéra, ni au théâtre, ni au tennis, ni au golf. On est au foot, un sport de rue, de quartier. Un sport social. Tu joues, tu sors minable, mais tu sors heureux, dans le vrai, avec le sourire.

Tu ne te reconnais plus dans le foot actuel ?
Ce n’est pas ça. Sur le terrain et dans le vestiaire, rien ne change et rien ne changera jamais. Le problème, c’est qu’en dehors, les joueurs peuvent être entourés de personnes qui les briment, qui les isolent. Arrêtons ça ! Ouvrons tout ! Obligeons-les à habiter en ville, comme avant, arrêtons de les protéger, de les couper de tout, de façonner leur langage. Les mecs se mettent des pains toute la journée et on les place dans une bulle pour ne pas les froisser ? C’est Pagnolesque. Personne n’a besoin de ça, ni eux, ni le public, ni nous. File-leur un ballon dans la rue, ça leur rappellera leur enfance, parce que le foot, il l’ont appris dans la réalité, pas dans un cocon. Tu n’es pas obligé de leur porter le sac ou de les isoler. Les mecs ont juste envie de prendre des photos avec les enfants, de rigoler avec les supporters, d’aller acheter la baguette, de côtoyer les autres.

Ici, on se souvient de ton interview de Mario Balotelli sur la table de kiné...
A chaque fois qu’il me voit, Balotelli me tape la main. Lui, je l’adore, c’est un monstre, mais il est comme tout le monde, il a besoin d’amour, besoin qu’on s’intéresse à lui. Plus il se rapproche des autres, plus il est heureux, plus il est bon. Il est abordable, il aime les gens. Mario, c’est un grand joueur et un super mec, même s’il a des fragilités.

« Le langage du foot est simple »

Quel est ton lien avec le monde du foot actuel ?
Je n’ai pas quelqu’un avec qui on s’appelle tout le temps, mais les Der Zakarian, Galtier, Garcia, Puel, Roussey, c’est ma génération, on a joué ensemble ou contre. Chaque fois que je les croise, on se fait la bise, ça nous fait plaisir. Pour le reste, je suis assez solitaire, j’habite sur une île, en face d’Avignon. J’aime y être avec ma femme et mon chien. Mon fils est marié avec une Japonaise, je m’occupe de mon petit-fils, Marius. Je profite des choses simples et pour moi, le foot, c’est la continuité de la vie. Ça ne peut pas être une corvée.

Si je te dis que : « Ce soir, on a fait le métier », que me réponds-tu ?
Que des mots se créent et que ça me gave. Le langage du foot est simple, passionné. Même si tu parles cru, ce n’est pas grave, tant que c’est sincère. Dans certaines émissions, tu n’as plus l’impression d’être au bar, mais dans un cercle de littérature. Je ne supporte pas ça.

Pour toi, la rivalité Nice – Saint-Etienne, c’est...
Juste une rivalité sportive. Quand je jouais Nice, c’était un régal, parce qu’on avait un club qu’on respectait énormément en face de nous.

Est-ce que le match contre le Gym est très attendu quand on joue chez les Verts ?
Franchement, non. C’est juste un super match de football à jouer et à vivre.

Comment juges-tu les deux formations cette saison ?
J’ai vu Nice 3 ou 4 fois, on sent que l’équipe se construit. Il y a un travail énorme de Patrick Vieira, un vrai contenu, un vrai collectif qui prend des points. Sincèrement, l’équipe progresse très vite. St-Etienne, c’est un peu la même chose. Ils sont très compétitifs, défendent très bien, sont redoutables à domicile ou à l’extérieur Pour moi, leur effectif est un peu plus expérimenté, dans l’ensemble, que celui de Nice. Ça va être un vrai beau match.

Enfin peux-tu nous dire un dernier mot sur le Berger, avec qui on te voit souvent pendant les matchs ?
Je suis très proche de lui. Si je suis au stade, je le fais rentrer, n’importe où, car c’est une personne qui me touche beaucoup. Je le connais depuis longtemps. C’est un vrai ami, j’aime sa profondeur d’âme. Un jour, il me dit : « Je viens chez toi ce soir », donc je l’attends toute la soirée. Au bout de 2 heures, il n’est pas là, je pars me coucher. Le lendemain, ma femme vient me voir et me dit que quelqu’un a dormi sur le banc devant la maison, c’était lui. Il est rentré, on a déjeuné, on a passé du temps ensemble, et on a parlé, parlé... Des fois, il me dit des trucs impossibles, je ne comprends pas tout mais c’est ce que j’aime. C’est ça le foot.  

C.D.