Camp d'entraînement

J-P. Rivère : « C’est le cœur du réacteur »

Quand vous arrivez en 2011, l’équipe joue au Ray, s’entraîne sur les installations du Parc des sports Charles-Ehrmann, et le club a une petite boutique rue Lépante. Que pense l’entrepreneur que vous êtes de ces structures ?
Qu’on a du travail devant nous. Je n'aurais pas franchi le pas sans savoir qu'il y avait un nouveau stade en projection. Quand je me rends à la boutique de Lépante, j’ai un peu honte que notre image soit représentée ainsi. On ne pouvait pas rester là-dedans. Elle était tout sauf commerciale. C'était le sujet le plus facile à traiter. Il fallait se débrouiller pour arrêter les engagements que nous avions et trouver le meilleur emplacement. Cela avait un coût, le loyer était supérieur à ce que nous avions. Mais quand vous investissez, il faut toujours regarder le long terme. Je cherchais à nous installer place Masséna, parce que c'est un lieu phare de Nice, connu de tous les Niçois et où beaucoup de touristes passent. Là où on perdait de l'argent dans la précédente activité, on en gagne aujourd'hui. Notre chiffre d'affaires n'a plus rien à voir. Mais au départ, si vous n'investissez pas, vous ne pouvez pas avoir un retour.
Vos infrastructures, ce sont vos outils de travail. Même chose pour le stade. Ce n'est pas une source de revenus immédiats mais il le sera à terme. Il est essentiel.

Et quel était votre regard sur Charles-Ehrmann ?
C'est pire. C'est le cœur du réacteur et pourtant tout est obsolète. Quand on veut construire des histoires, des projets, il faut d'abord bâtir les fondations. Concernant l'OGC Nice, il s’agissait déjà de la rigueur de la gestion, notamment financière, de mettre en place des modes de fonctionnement, tout ce qui est le cœur d'une entreprise en réalité. Julien Fournier (directeur général) a réalisé un travail remarquable sur ce sujet, comme sur les autres.
Le camp d'entrainement, c'est là où se fait tout le travail au quotidien. L'administratif, les pros, les jeunes,… Avant de signer un joueur, nous étions obligés de les prévenir sur ce qu’étaient nos installations. A Mario (Balotelli) comme aux autres, nous avons dit : « attention, les vestiaires ont 50 ans, les douches ont 50 ans… ». Le centre Charles-Ehrmann était un handicap majeur pour les pros comme pour les jeunes. Quand vous avez un projet notamment bâti sur la formation, vous ne pouvez pas accepter de rester dans de telles structures. On va avoir maintenant un outil très séducteur pour les parents qui nous confient leurs enfants.

« C'est la 1re fois de ma vie que je lance un projet immobilier important, un gros investissement, sans avoir le financement »

Vous avez évoqué très rapidement la perspective de bâtir un nouveau camp d’entrainement...
Au bout d'un an, je crois, après avoir cherché à comprendre le monde du football et l’activité. La première année, on perd beaucoup d'argent par la faute d'un mauvais mode de fonctionnement. Donc repartir sur un projet avec des caisses vides, c'est compliqué. Tout comme de trouver le bon équilibre entre l'investissement sportif et celui à faire sur les structures... Le court terme vous amène souvent à ne regarder que l'investissement sportif. Le challenge que nous nous étions fixés était d'aider ce club à grandir, à se structurer. Et cela passe par le camp. Donc ce fut très rapidement une des premières préoccupations. Il fallait trouver l'emplacement, ce furent des discussions avec la Ville. Cela aurait pu être ailleurs, mais je trouve que c'est une bonne chose d'être proche du stade. Et une fois que ce fut fait, que l'on pouvait imaginer un projet, il fallait trouver le financement.

Pas simple ?
C'est la première fois de ma vie que je lance un projet immobilier important, un gros investissement, sans avoir le financement. Je décide de le faire, parce que j'ai les étapes en tête. Il y a aussi les investisseurs parmi elles. Mais si on n'avait pas lancé le centre, on n'aurait pas eu les investisseurs. Au départ, on passe un deal où on dit que la Ville finance la moitié, et nous le reste. La Ville a fait beaucoup d'efforts, elle a acquis le foncier, elle a réalisé les pelouses, et elle fera pour 2019 une tribune complémentaire pour homologuer le terrain en National 2.
Donc finalement il fallait que nous soyons capables d'assumer seuls le bâtiment. C'est un très gros investissement. Quand vous allez voir les banquiers et que vous associez les mots immobilier et football, personne ne veut vous recevoir. Il y a un dogme en France qui dit football = perte d'argent. C'est ancré dans les esprits, et donc tout ce qui touche au football fait peur.

Comment avez-vous contourné cela ?
En me disant qu’on trouverait des solutions. Cela fait 30 ans qu'on attend ce camp. A un moment, il faut y aller. La BPI (organisme public) a été moteur. Mais elle ne prête de l’argent que s’il y a un autre banquier. Comme toutes les portes se fermaient, je suis allé voir des gens que j'ai connus dans une autre vie. Je veux parler de la Caisse d'Epargne, et notamment de son président Christophe Pinault et de Jacques-Olivier Hurbal (membre du directoire). On se connaissait, on a montré qu’on avait la tête sur les épaules, et donc ils ont accepté de nous financer. Je les en remercie. Ça nous a permis de faire le bâtiment, moitié en cash, moitié en prêt.

Le transfert de Jordan Amavi y a également contribué…
Il représente une partie du financement de la construction. Ce fut le début d’un cercle. Et c’est un joli symbole pour un joueur formé au club. On aurait d’ailleurs dû l’avoir avec nous ce soir. Mais, il a été appelé depuis en Equipe de France. Ce dont on ne peut que se réjouir.

« Notre difficulté était de faire le camp et en même temps de ne pas pénaliser sportivement l'équipe »

Ces difficultés pour le financement expliquent-elles que le camp était annoncé en 2016 pour ne finalement être inauguré qu’en 2017 ?
Oui, parce qu'il fallait les moyens. Notre difficulté était de faire le camp et en même temps de ne pas pénaliser sportivement l'équipe. Parce que l'argent que vous y consacrez, vous ne le mettez pas ailleurs. Mais si vous n'entrez pas dans l'action à un moment, vous tournez en rond. Il ne se passe rien.

Quels étaient les objectifs principaux de ce projet ?
Le premier était que toutes les composantes du club devaient être réunies sur le même site. Un lieu unique doit nous permettre de travailler encore mieux.
C’est essentiel parce que dans les 5 ans qui viennent il n’y aura pas un afflux d’argent dans les caisses du club susceptible d’élever notre budget au niveau de celui de Lyon ou Marseille. Donc pour aller les taquiner sur le terrain, cela passe par une approche différente, en travaillant encore plus. Et pour cela il faut les bons outils. Le camp est un outil de performance. L’évolution du budget de l’OGC Nice sera le fruit de notre travail.

Le projet a été nourri de nombreuses réflexions, par métier. Il démarre ainsi avec Claude Puel, par exemple.
Claude était notre coach à l'époque et nous pensions faire une longue route ensemble. On lui avait demandé son avis sur le plan sportif, ses attentes. Il était impliqué et c’est d’ailleurs pour cette raison que nous l’avons invité ce soir à l’inauguration. J’espère qu’il se joindra à nous. Lucien (Favre) et son staff ont pris la suite. De sorte que l’outil corresponde à tous les besoins.

« On devrait garder un algeco sans clim pour nos prochains rendez-vous avec les agents de joueurs… »

Visuellement, le nouveau camp fait beaucoup d’effet. Cela va accréditer l’idée que l’OGC Nice est aujourd’hui un club riche…
C’est peut-être le seul handicap. Tout le monde va penser qu’on a de l’argent. Ce n’est pas la vérité. On travaille et on investit pour en gagner. Ce n’est pas la même chose. On en plaisante avec Julien (Fournier). On se dit qu’on devrait garder un Algeco sans clim pour nos prochains rendez-vous avec les agents de joueurs…

Que va changer le nouveau centre en matière de fonctionnement au quotidien ?
Les conditions n'ont rien à voir. C'est très qualitatif. Installations sportives, salle de musculation, bain chaud, bain froid, logement, restauration… les jeunes vont avoir à leur disposition le même niveau que les pros. Quand Dante a visité le centre, il m'a dit : « Si les jeunes ne réussissent pas là, ils ne réussiront jamais. »
C’est idéal, tout a été optimisé. Les pros auront aussi leurs chambres. Pour les mises au vert, mais aussi les journées avec un double entrainement. Actuellement, un pro vient le matin, s’entraine, reprend sa voiture, revient l’après-midi, etc. Là, ils vont pouvoir rester sur place, se reposer, travailler dans le club toute une journée. On va pouvoir aussi faire de meilleures choses d'un point de vue diététique. La réussite sportive ne se contrôle pas, mais les outils seront là pour la favoriser.

Le centre actuel est vétuste, mais les supporters avaient une proximité réelle avec les joueurs. Comment la conserver ?
Aujourd’hui, c’est porte ouverte. Et cela présente aussi des désavantages, notamment quand le coach veut organiser une séance à huis clos pour préparer le match à venir. En faisant du camp un centre névralgique de toute notre activité, on ne pouvait pas rester ouverts aux quatre vents. Mais, on ne veut pas se couper de cette proximité. Alors on a fait en sorte qu’il y ait un espace réservé aux supporters juste à côté du terrain pour qu’ils puissent suivre au plus près les entrainements, comme aujourd’hui. Vous verrez, ce sera le cas quand l’équipe s’entrainera pour la première fois au camp, mardi prochain.
Ce doit aussi être un lieu de vie et de partage avec nos partenaires, avec le football amateur. On va organiser beaucoup d'événements pour que les gens respirent ce centre. La configuration différente ne doit pas nous couper de la convivialité.

« On récoltera les fruits du centre à moyen ou long terme »

Le nouveau centre peut-il permettre au club de dégager de nouvelles recettes ?
Pas directement. Déjà sa construction, dont le coût est de 15,5 millions d’euros, est financée à moitié par un crédit à rembourser chaque année. Et ensuite, il y a l’exploitation au quotidien. C’est un bâtiment de 6500 m². Il y a l’entretien, la restauration, la location des terrains à la Ville,… tout cela va représenter une nouvelle charge importante, sans commune mesure avec notre centre actuel. Notre première préoccupation est donc de trouver un « namer » qui vienne en partie la diminuer. On fera aussi des séminaires, des événements, mais ce n’est pas ça qui comblera. A nous de trouver de nouvelles recettes, dans d’autres domaines. On récoltera les fruits du centre à moyen ou long terme. Ce sera là le véritable gain.

Quelles difficultés majeures avez-vous rencontrées ?
Amener ce projet au bout. Parce que c'est une gestion très lourde et sans équipe dédiée. Des entreprises nous ont aidés, et comme en interne nous n’avions personne pour gérer ce type de projet j'ai pris de mon côté la solution de facilité en confiant à mon fils, Florent, la prise en charge du chantier jusqu'à la fin de l'ameublement. Il avait déjà travaillé sur le dossier de la boutique Masséna. Pour le coup, je ne lui ai pas fait un cadeau parce que le camp était un chantier énorme, mais je trouve que le résultat est là. Et j'en suis très heureux.

C’est aussi votre métier originel. Avez-vous apporté votre touche ?
Ce n’est pas tout à fait ça, car ce projet n'a rien à voir avec ce que nous avons l’habitude de faire dans nos réalisations. Il y a du sportif, une école pour les jeunes du centre, des bureaux,... Quant à la touche que j’aurais pu y mettre, oui, des petites choses…

Comme le petit clin d’œil d’installer un terrain de boules sur la terrasse…
(sourire) J’aime y jouer, mais cela ne doit m'arriver que quatre-cinq fois par an, pas plus. Par contre, il y a des terrains de boules dans beaucoup de nos réalisations. C’est très convivial. Nous avons fait une résidence où c’est devenu le lieu de vie. Cette ambiance-là doit se retrouver au sein du club, entre les collaborateurs, l’équipe, le staff,… Il faut de la vie. C’est aussi un ingrédient de la performance.
Mais pour tout dire, notre idée de départ était d’ouvrir le restaurant (situé au dernier étage, ndlr) au grand public. Nous connaissons des restaurateurs qui marchent parce qu'ils ont un terrain de boules.
On a la chance d’avoir une terrasse immense. Avec ce terrain, le parking, le restaurant, la marque forte qu’est le club,… nous étions sûrs de faire le plein. C’était un plus. Mais nous avons dû mettre de côté ce projet de restaurant, parce que dans la réalité c’était très compliqué à gérer en matière de flux entre les gens qui travaillent dans le bâtiment et les visiteurs. On va donc déjà appréhender le centre, le vivre,…

« Quand vous entrez là-dedans… »

Quelles sont vos zones préférées ?
La terrasse, on vient d’en parler. Il y a aussi le vestiaire des pros. Il est magnifique. Mais, en premier lieu, c’est la géode. Quand vous entrez là-dedans… pfff.
Mais bon, je ne suis pas objectif. Un grand travail a été fait par le service com’ pour décorer le bâtiment à nos couleurs. Avec des grandes images de notre histoire, les noms de tous les anciens, les portraits des jeunes que nous avons sortis. C’est magnifique et ce sera encore plus beau dans quelques semaines quand tous les murs seront habillés.

On évoque l’esthétique du bâtiment et ses caractéristiques fonctionnelles, un mot sur l’architecte, Jean-Philippe Cabane…
Même si cela faisait de longues années que nous n’avions pas eu l’opportunité de travailler ensemble, je connais Jean-Philippe depuis très longtemps. Il est brillant. Il a déjà signé de belles réalisations. Et, au-delà de ses qualités, il présente l’énorme avantage d’être à l’écoute. Il a un égo très contrôlé. Il est tout à fait capable de modifier ses projets, si nécessaire, en fonction de ce que l’on exprime. Ce fut à nouveau un plaisir de collaborer avec lui. Il peut être très fier de la réalisation qu’il a menée, avec ses équipes et notamment avec son collaborateur Eric Grelin.

Désormais, le club est-il paré en matière de structures ?
Oui. Mais chaque secteur doit continuer de progresser, se fixer des étapes, et penser que rien n’est une fatalité. Prenons l’exemple du stade. Il vit bien aujourd’hui, mais nous devons être plus innovants pour le remplir, avoir demain 50, 100, 200 points de vente de billetterie dans la ville et autour pour aller chercher les spectateurs. C’est un dispositif que nous allons commencer à mettre en place dans les kiosques à journaux, grâce à un partenariat que nous avons initié avec Nice-Matin. Il y a encore une foule de moyens et de pistes à explorer pour continuer de faire grandir le club.

L.O.