Le témoin

Le grand Sammy n'a rien oublié

Au bord de la Méditerranée, personne ne l'a oublié. Une longue silhouette (1,94m), un large sourire, un air débonnaire hors du pré. Des tacles bien appuyés, des « dépassements de fonction » mémorables, une hargne communicative à l'intérieur. Arrivé au Gym à 26 ans, Sammy Traoré a passé 4 saisons avec le maillot rouge et noir (de 2002 à 2006), avant de rejoindre le Paris SG et d'y finir sa carrière (de 2006 à 2011, avec un petit passage d'une saison à Auxerre). A 40 ans, l'ancien défenseur central international malien n'a rien perdu de sa passion d'antan. Avant le Paris – Nice de samedi (coup d'envoi 17h), il a accepté de répondre aux questions d'OGCNICE.com, les deux pieds en avant.

" mettre mes mains dans « le cambouis », ça me fait vibrer "

Sammy, avant toute chose, que deviens-tu ?
Je suis en train de passer mes diplômes d'entraîneur, et en parallèle j'entraîne la 3e équipe de Créteil, qui évolue en DHR. Le monde amateur, c'est une autre approche du football. Mais bon, quand j'étais joueur, je l'ai connu avant le professionnalisme, donc ça ne peut que servir. En DHR, ça commence à bien jouer, je récupère également des petits U19 que j'essaie de faire progresser. Dans le groupe, il y a de la qualité. Ils savent aussi ce que j'ai vécu au long de ma carrière, donc ils écoutent plus facilement. Bref, on prépare l'avenir...

Ces jeunes ont-ils l'occasion de se frotter à l'ancien défenseur du Gym et du Paris SG durant les entraînements ?
Bien sûr ! On s'entraîne deux fois par semaine, et je suis à chaque fois sur le terrain, à fond. Bon, parfois mon adjoint doit un peu me calmer pour ne pas que je les blesse (rires), mais ça les aide aussi un peu à comprendre.

Le fait d'être « un jeune ancien », ça aide à faire passer le discours ?
C'est ça. Les jeunes générations croient que tout sera facile et que tout va vite, avec internet et tous ces trucs. Elles pensent pouvoir jouer au-dessus « à l'aise ». Elles se trompent. Pour aller voir plus haut, il faut travailler dur, être sérieux et écouter les anciens. Avec mes joueurs, on rigole bien, je ne vais pas dire le contraire. Mais je suis coach, et même s'ils sont jeunes, j'ai affaire à des hommes, donc ça demande de l'application et de la rigueur. Dès le début de l'échauffement, on ne blague plus. On se concentre.

Quel style de jeu prône le coach Sammy ?
Je ne vais pas dire que ce qui me fait vibrer, c'est tous derrière et des longs ballons devant. Encore moins au niveau amateur. Non, ce qui me plait, ce sont des ressorties de balles propres, du jeu au sol, des passes assurées. Le foot qu'on aime quoi...

Pourquoi avoir choisi de démarrer un parcours d'entraîneur plutôt qu'une carrière de consultant ?
Parce que j'aime trop le foot pour être loin du terrain ! Moi, ce qui me fait vibrer, c'est mettre mes mains dans « le cambouis », aller au charbon, vivre le truc à fond. Quand tu es commentateur ou agent, tu es encore dans le milieu, mais tu n'es plus au coeur du jeu. Je pense pouvoir commenter un match – même si je risque de sortir quelques conneries -, mais le terrain me manquerait. Je serais loin de ce truc qui m'a passionné toute ma vie et qui continue de le faire. Et puis je n'aurais pas le côté « transmission » qui m'est si cher. Je veux transmettre ce que j'ai pu apprendre aux plus jeunes, je pense que c'est important. Quand je vois Jérôme Rothen, par exemple, qui est mon pote et qui passe très bien à la télé, je me dis que c'est cool, mais surtout que c'est dommage de ne pas le voir sur un banc, car il pourrait apprendre beaucoup de choses aux autres...

A 40 ans, tu n'éprouves donc aucune lassitude ?
Jamais, bien au contraire. Le foot, c'est ce qui m'a toujours passionné, depuis petit. Même quand j'allais chercher le Paris Turf à mon père, je partais avec le ballon au pied... Je ne suis jamais passé par un centre, c'est peut-être pour ça que je n'éprouve pas la lassitude qui peut frapper certains. J'ai toujours travaillé dur, mais à côté, j'avais mes délires, j'ai vécu normalement, avec mes potes. Je suis arrivé au haut niveau assez tard, à 26 ans. Et franchement, même maintenant, je ne me vois ailleurs qu'au bord du rectangle vert.

" Le Ray, c'était bouillant, et la ferveur n'a pas disparu... "

Justement, tu as surtout connu la L1 avec Nice (4 ans) et Paris (5 ans). Que représentent ces deux clubs pour toi ?
Ah, ça reste particulier. Le Gym, c'est le club où j'ai découvert le haut niveau, j'y ai passé 4 ans magnifiques. Paris, c'est aussi mon club de coeur, celui de ma région d'origine, là où j'ai terminé... Forcément, quand ils jouent l'un contre l'autre, ça fait bizarre. Depuis que je suis parti de Nice, j'ai toujours suivi ce que faisait le Gym, j'y ai toujours des amis. D'ailleurs, j'irai les voir à l'hôtel avant la rencontre de ce week-end, pour faire une bise à Boulon (Philippe Boulon, kiné historique) et parler un peu avec Mathieu, Hatem et d'autres...

Comment analyses-tu l'évolution du Gym ?
Quand j'y étais, il fallait franchir un cap. Financièrement, le club n'était pas au top, il devait aller de l'avant. C'est ce qu'il fait, et je ne suis pas surpris quand tu vois les possibilités de la ville. Il y a un nouveau stade, de jeunes joueurs qui sortent, un coach qui fait du super boulot... A un moment, quand tu veux progresser, il faut changer. C'est ce que l'OGC Nice est en train de faire, la belle saison le confirme. Maintenant, il ne manque qu'une qualification en tour préliminaire de la Ligue des Champions ou en Ligue Europa pour continuer à aller de l'avant. Et vu ce que l'équipe propose, je suis certain qu'elle a une belle carte à jouer...

Que penses-tu de la transition Ray – Allianz Riviera ?
Comme je l'ai expliqué, à un moment, il faut regarder de l'avant, donc l'Allianz Riviera est une bonne chose. Par contre, je dis aux personnes qui n'ont pas connu le Ray qu'elles n'ont vraiment pas de chance. En 10 ans au haut niveau, j'ai vu pas mal de villes et de stades, c'est un de ceux qui m'ont fait le plus vibrer avec le Parc - qui est une cuve avec 45 000 personnes. Le Ray, c'était bouillant, avec la Sud pleine qui te poussait très fort. Une des meilleures ambiances, qui te donne la chair de poule, à l'image de celle du Parc. Mais il ne faut pas se tromper, la ferveur n'a pas disparu avec le changement de stade. Amenez donc la Coupe d'Europe à l'Allianz et vous verrez... Le stade va bouillir, et si c'est un tour préliminaire de Ligue des Champions, il peut même exploser.


Pour qui ton coeur balancera samedi ?

C'est dur ça (un moment de réflexion). J'aime les deux clubs, j'y ai de bons souvenirs. Mon coeur est parisien, forcément, c'est là où je suis né. Mais Paris est déjà champion, alors que Nice a besoin de points, donc je vais dire que je suis plus pour un bon coup du Gym. Je suis sûr que l'équipe a les arguments pour contrarier le PSG. Et puis bon, je me souviens que moi, j'ai rarement perdu à Paris avec Nice, donc ça donne espoir, même si c'est une autre époque.

On te sent toujours profondément attaché au maillot niçois...
Bien sûr que j'y suis attaché. Comme j'ai dit, le Gym sera toujours dans mon coeur. J'y ai passé 4 saisons magnifiques et y ai rencontré l'un des coachs qui m'a le plus marqué, en la personne de Fred Antonetti. J'adorais les mecs avec qui je jouais, j'adorais le Ray, la ville, ses habitants... Quand j'y repense, ce ne sont que des bons souvenirs. J'envisage le foot comme un enrichissement : quand je vois que je peux revenir des années après pour retrouver mes amis, je me dis que je ne me trompe pas vraiment.

Y a-t-il un souvenir en particulier ?
J'en ai beaucoup. Tiens, par exemple, mon premier but en L1, c'est à Auxerre (le 16 novembre 2002), je suis défenseur et rentre en pointe...

Tu as marqué pas mal de buts ici (11 en L1). Lesquels te viennent spontanément à l'esprit ?
Je me souviens d'un match contre Paris où je suis remplaçant, où je rentre et où on obtient un pénalty (le 28 novembre 2004). Je me suis dit que j'allais le prendre, Gernot ne voulait pas. Du coup, il commence à me crier dessus... Sur le terrain, je lui ai répondu : « T'inquiète coach, je sais où Lionel (Letizi, alors gardien du PSG) plonge, donc je vais la mettre de l'autre côté », et j'ai marqué (score final 1-1). Je me souviens aussi d'un autre but contre Paris, au Ray, je mets une tête en toute fin de match et ça nous fait gagner (victoire 1-0 le 21 janvier 2006). Bon, maintenant je peux le dire, il fallait que je prenne un carton jaune pour être tranquille en Coupe de la Ligue, donc j'enlève vite mon maillot et le jette devant l'arbitre. Il m'a regardé en me disant qu'il était obligé de me sanctionner, j'ai fait semblant de rien mais j'étais doublement content.


Justement, cette fameuse Coupe de la Ligue perdue en finale face à Nancy...

L'un des moments les plus durs de ma carrière, sans aucun doute. P***** de finale, on était plus forts, on aurait dû gagner. Celle-là, elle me fera mal toute ma vie, et je me souviens que je n'en avais pas dormi pendant une semaine. Quand on est rentré, la ville était morte. Bon, l'épopée était magnifique à vivre, mais le final a été trop rude. On la voulait cette coupe, pour nous, mais surtout pour tous les supporters et pour toute la ville. Depuis, chaque saison, j'espère que le Gym va en remporter une, car tout le monde le mérite. Même si une place en Coupe d'Europe, ce serait sympa aussi... Quelques années plus tard, j'ai perdu une finale de Coupe avec Paris contre Lille. J'étais déçu mais ce n'étais pas pareil.

" Le peuple niçois sera toujours dans mon coeur "

Pourquoi cette équipe niçoise du début du millénaire reste-t-elle dans la mémoire des supporters ?
Dans le groupe, la plupart des joueurs découvraient la L1 : il n'y avait que des " morts de faim " à la Abardonado, Varrault, Pamarot, des mecs revanchards comme Bigné, des talents comme Everson... Les gens s'identifiaient sûrement à cette équipe-là, se reconnaissaient en nous. Et nous, on se régalait. Quelques années après, j'ai parlé d'Everson à des gens que je connais, ils ne se souvenaient plus de lui. Je leur avais dit : « Vous êtes fous, ce mec-là, il marchait sur tout le monde en L1 »...

Comment expliques-tu tes bons rapports avec les supporters ?
Je ne leur ai jamais menti. Quand je jouais, je mettais tout mon coeur, je taclais, je laissais tout ce que j'avais sur le terrain. Quand je les croisais en ville on parlait tranquillement, on prenait les photos, c'était des moments sympas. Je pense que les gens ont été touchés par mon honnêteté, car je n'ai jamais triché. Ces gens-là, ils méritaient et méritent qu'on se batte pour eux, c'est ce que j'ai toujours essayé de faire.

Scoubidou, ça passait bien comme surnom, non ?
(rires) Tu sais, j'en ai eu tellement que je ne souviens plus trop.

As-tu un message à leur faire passer ?
Oui. Le peuple niçois sera toujours dans mon coeur, je ne l'oublierai jamais. Actuellement, je me suis lancé dans une nouvelle carrière, et je dois faire mes preuves. Mais qui sait, peut-être qu'on se reverra dans quelques années, on ne sait jamais ce qu'il peut se passer en football. En tout cas, je reviendrai toujours avec un immense plaisir. Je veux aussi dire que je fais une grosse bise à tous les gens du club, je leur souhaite le meilleur.


Que t'inspire le Paris actuel ?

Du respect. Franchement, ils font rêver. A notre époque, avec Mathieu (Bodmer), Ludo (Giuly), Greg (Coupet), on en parlait souvent, on sentait que ça allait se passer comme ça. Dès que les Qataris sont arrivés, ils se sont mis en ordre de bataille pour toucher le Graal et enlever la Ligue des Champions. C'est plus facile maintenant qu'à notre époque. Même si on avait des bons joueurs, on n'avait pas les moyens d'aller chercher la LDC. Maintenant si.

Tu es donc un peu d'accord avec Zlatan, qui a dit que le PSG était  " né avec le Qatar..."
La forme est un peu brute – même si Zlatan est intelligent et sait très bien jouer avec les médias -, mais qui peut dire qu'ils n'ont pas tout changé ? Moi, à mon époque, on m'aurait dit : « Sammy, ne bouge pas, demain tu vas t'entraîner avec Zlatan, Thiago Silva, Motta... », j'aurais répondu qu'on se foutait de ma gueule. Et bien non. Ils sont là donc il faut en profiter. C'est une chance pour tout le monde, alors on ne va pas s'en priver. Quant à Zlatan, « on le connait », comme il l'a dit quand il est arrivé. Il aime faire ce genre de déclaration, mais quand tu vois ce qu'il réalise sur le terrain, c'est énorme. J'adore les gens qui parlent et assument. C'est un monstre.

C.D.