Vieira - Gullo

Retour vers le futur

Mois de juin, année 2018. Murmurée, la rumeur s’amplifie, puis se transforme en vérité : Patrick Vieira devient le nouvel entraîneur de l’OGC Nice. S’il n’a pas besoin d’être présenté pour qu’on le reconnaisse, le coach débarque de New York avec humilité, fait le tour des bureaux et salue tous les salariés. Au milieu de tous, un récolte une chaleureuse accolade, et même un peu plus, puisqu’il tombe dans les bras du champion du monde 98. Que cache cette scène qui nous interroge et nous réjouit ? Peut-être faudra-t-il creuser, au moment venu. Le moment est arrivé : la scène cache une histoire qui remonte à de nombreuses années.

« Tu sais qui me donnait des informations ? Celui qui s’occupait du stade. Un jour il m’a dit de venir jeter un œil sur un jeune joueur ». Les « r » se roulent, les paroles montent, puis retombent, donnant à la discussion une allure mélodie. L’oeil va vite, la main cherche l’épaule, le bon mot n’est jamais trop loin, et quand on le lance, la France se rapproche de suite de l’Italie, en voisine. En cousine. Membre de la cellule de recrutement de l’OGC Nice, Gianni Gullo sillonne les terrains depuis toujours et, au début des années 90, navigue déjà dans le département. A l’époque, le centre de l’AS Cannes façonne un jeune et prometteur milieu de terrain. Vous l’avez en 1000 : le milieu s’appelle Patrick Vieira, et Gianni travaille pour le Milan AC. 
« Pendant 2 mois et demi, je l’ai vu, sans rien noter, retrace celui qui était, à l’époque, le responsable France du recrutement rossonero. Puis j’ai commencé à écrire des rapports à son sujet, et j’en ai parlé à mon chef. Mon job était de dire si un joueur était « bon pour le Milan ». Lui l’était ».

De gauche à droite, Dunga, Gianni Gullo et Patrick Vieira

« C’est vrai, si j’ai rejoint le Milan, c’est en partie grâce à lui, sourit pudiquement le coach. On se connaît depuis longtemps. Ce qui est marrant, en plus, c’est qu’il m’a fait voir tout ce qu’il avait noté sur moi à l’époque. Ce que ça disait ? (Grand sourire) C’est un peu personnel... » Parler de soi est toujours difficile. Alors le coach Vieira n’en dira pas beaucoup plus sur le jeune Patrick, qui remporte la Coupe Gambardella, goûte au monde pro, puis porte le brassard de capitaine en D1, à même pas 19 ans. « Il était costaud, puissant, capable d’aller vers l’avant, dessine le scout. Et il avait la tête bien faite, ce qui est important. Tu voyais que ça allait devenir un bon ».


« Il devait aller à l’Ajax...»


En ce début des années 90, celui qui « va devenir un bon » commence à prendre de plus en plus d’avance, à monter de plus en plus vite. L’oeil du Milan scrute avec de plus en plus d’attention, jusqu’à ce que celui qui n’était qu’un garçon à suivre devienne un homme à prendre. Une tête à chasser. Gianni écrit son dernier rapport, le transmet à ses chefs et retourne à son travail. La machine lombarde se met en branle. Le 4 novembre 1995, « le jeune prodige », comme les médias français le décrivent, signe au grand Milan, après 22 matchs de D1.


Il y rejoint l’effectif le plus compétitif de la planète, trottine pour son premier entraînement, puis intègre le groupe de Fabio Capello, au milieu des Baresi, Maldini, Costacurta, Baggio, Savicevic, Boban et autre Weah. Gianni recroise Patrick à Milanello, mais après une saison, le second quitte le Nord de la Botte. En route vers son destin. « La saison n’a pas été facile pour lui, concède le premier. Mais pour moi, il devait venir et rester au Milan, parce que c’était un club immense, fait pour lui. On ne peut jamais prévoir ce qui va se passer, le football est comme ça. Patrick s’est mis d’accord avec le Milan et il est parti. D’ailleurs, pour l’anecdote, au début, il était prévu qu’il rejoigne l’Ajax, mais ça, je ne sais même pas si lui le sait. Au dernier moment, ça s’est fait avec Arsenal, et il est devenu le joueur que tout le monde connaît. Tu t’imagines, des fois, à quoi ça tient ? ».
 

« Il a la mentalité du football italien »


En Angleterre, le prodige se mue en taulier, dispute 386 matchs en 9 saisons chez les Gunners, remporte le titre de champion, enfile le brassard de capitaine des « Invincibles »... Avec les Bleus, il règne sur l’Europe et le monde. Puis retrouve l’Italie (la Juve, l’Inter), repasse par l’Angleterre 
(Manchester City) et s'oriente finalement vers une reconversion sur le banc, toujours au centre du jeu. 

L’académie de City et l’équipe première du New York FC précèdent son arrivée à Nice, et cette fameuse accolade avec l’homme qui l’a repéré. « On était en contact de temps en temps, poursuit le signore Gullo, mais il ne m’avait pas dit qu’il pouvait venir ici. Finalement, il est venu... » « J’étais très heureux de le revoir après toutes ces années, apprécie l’entraîneur des Aiglons. A titre personnel, ça fait toujours plaisir de recroiser des personnes qui ont compté dans mon parcours. A titre professionnel, on discute, j’écoute son avis et celui de tous les recruteurs, car ils comptent énormément pour moi ». « Comme il était joueur, il va devenir entraîneur, promet enfin Gianni. Il a des idées très intéressantes et je pense qu’il peut amener quelque chose de bien, parce que le jeu qu’il veut mettre en place mélange un peu les cultures. Et puis parce qu’il a aussi, comme beaucoup de Français de 98, la mentalité du football italien ».

Sacrés voisins, sacrés cousins...

C.D.