Rencontre

Youssoupha : « L'OGC Nice fait envie »

« J’ai vu un Marseille – Nice, une fois, au Vélodrome. Je ne savais pas que c’était aussi chaud... » La confidence est lâchée en aparté, au détour d’une discussion. Rappeur aux albums certifiés disques d'or et de platine, producteur, homme de lettres et de combats, Youssoupha (38 ans) s’est présenté à Charles-Ehrmann ce mardi, les lunettes noires vissées sur le nez et la mine avenante. Féru de ballon, le consultant de beIN SPORTS y travaillait un sujet sur Malang Sarr, qui sera diffusé lundi prochain. Habitué à esquiver, à crocheter, à orienter, à accélérer, « le lyriciste bantou » originaire de la région parisienne, dont l’allant et la fraîcheur permettent d’occulter (chauvinisme oblige) la sympathie qu’il porte à l’OM, a cette fois temporisé pour nous livrer sa vision du Gym. Du sport-roi, et du binôme qu’il forme avec le rap.
 

"Je souhaite à l'OGC Nice que ça fonctionne dans la durée, comme ça il inspirera les gens"


Youssoupha, peux-tu nous expliquer comment tu te retrouves à assister à un entraînement du Gym en pleine semaine ?

Comme je suis passionné de foot, j’interviens régulièrement sur beIN SPORTS. Cette saison, dans le cadre d’une nouvelle rubrique, on rencontre des joueurs. Souvent des jeunes. Le profil de Malang Sarr nous a parlé, parce qu’il y a beaucoup de choses à dire sur lui et, en retour, il a aussi des trucs à nous raconter. Il s’impose, connaît des hauts, a eu des accrocs, s’accroche. C’est devenu rare de percer dans son propre club, lui reste fidèle au Gym, et en retour le club ne l'abandonne pas. C’est cool de commencer avec lui ici, au centre d’entraînement. D'ailleurs il n’est pas trop mal mais, apparemment, le nouveau, c’est un vaisseau spatial…

Si tu devais écrire une chanson sur ta rencontre avec Malang, tu la titrerais comment ?
« Des quartiers au sommet ». Parce qu’en vrai, on se retrouve tous dans cette trajectoire-là. Les gens disent souvent que le foot « fait des millionnaires ». Moi, ce qui me plait, c’est qu’il reste l’un des rares milieux où on juge à leur juste valeur les jeunes qui viennent de milieux pas faciles et qui réussissent à percer, à avoir un statut et une reconnaissance pour ce qu’ils font. Il n’y a pas beaucoup de domaines, quand on réfléchit, que ce soit dans l’industrie technologique, le médical, l’ingénierie (…), où l’ascenseur social fonctionne aussi bien que dans le foot. Du coup, les exemples de jeunes, au Gym ou ailleurs, qui réussissent, m’intéressent et me touchent. Quelque part, même si ce n’est pas exactement la même vie, ça me rappelle ma trajectoire à moi. J’ai énormément de respect pour ça.

Que penses-tu du club rouge et noir ?
Il fait envie, notamment depuis le nouveau cycle de 2, 3 ou 4 ans. Plus jeune, je l’ai connu comme tout le monde : avec des périodes instables dans la direction et des performances sportives irrégulières. Du coup, actuellement, de l’extérieur, on a l’impression qu'il se modernise. Il y a une présidence continue, un nouveau stade, un nouveau centre, des bons coups au niveau du mercato... Sneijder est là, Balotelli et Dante aussi, on voit du beau jeu, c’est frais ! Ce qui se passe ici, c’est bien. Le club anime la L1, j’espère pour lui que ça va durer. Et puis ce que j’ai remarqué avant l’entraînement, c’est que beaucoup de jeunes du centre s’entraînent avec les pros. C’est une histoire qui a l’air de s’inscrire dans la continuité, une belle approche. J’espère qu’elle va réussir, parce que quand ça le fait, ça peut créer une vraie émulation. A contrario, si ça ne marche pas, on entend de suite « qu’il ne faut pas faire confiance aux jeunes ». Moi, je souhaite à l’OGC Nice que ça fonctionne dans la durée, comme ça il inspirera les gens.

Si on te parle du Gym d’avant, qu’est-ce qui te vient à l’esprit ?
Il y a un joueur que j’aimais beaucoup, comme pas mal de gens, c’est Ederson (Niçois de 2005 à 2008). On l’avait vu sous son meilleur jour ici. Après, il était parti à Lyon, c’était un peu plus compliqué, mais c’est un des gros talents brésiliens que la L1 a révélés. Je pense aussi à Balmont (au Gym de 2004 à 2008) : un joueur classique du championnat, avec le comportement qui va avec. J’ai aussi les images de Bosetti (parti cet été à Laval) en tribune, ça m’a marqué.

Que donne le public niçois lors de tes concerts ?
Il est bien. Mais je crois quand même qu’il est moins chaud que ce qu’on voyait à l’époque au Ray ou maintenant à l’Allianz. Il y a le Palais (Nikaia), puis des petites salles : c’est une grosse ambiance, ça donne envie d’aller au stade. Du coup quand je vais revenir en concert, je serai encore plus exigeant.
 

« Le rap et le foot s’adorent et se fascinent »


Rappeur et consultant de foot : cette combinaison semble logique…

(Rires) Je ne sais pas. Rappeur, c’est mon premier métier. Celui avec lequel je gagne ma vie et, surtout, ma première passion. C’est ce pour quoi je me prends la tête au quotidien. Le foot reste complètement récréatif. J’en parle comme un passionné, pas comme un ex-footballeur (que je ne suis absolument pas), ni comme une espèce de « spécialiste-expert » (je sais qu’il y a en a beaucoup sur les réseaux sociaux). J’aime bien l’approche du foot à taille humaine, avec ma subjectivité. Je ne suis pas un « gros tailleur », plutôt un curieux. Curieux de la vie d’une équipe, des clubs, de tout ce qui peut y avoir comme histoire autour, du ressenti des joueurs.

Qu’entends-tu par « du foot à taille humaine » ?
Aujourd’hui, je suis au centre d’entraînement niçois, il y a Lucien Favre et les préparateurs physiques pas loin de moi... Je serais totalement complexé de faire le connaisseur alors qu’à quelques mètres, j’ai des mecs comme ça. Du coup je parle avec ma sensibilité. Je n’ai aucune certitude et je le revendique. Aucune certitude ou conviction sur des systèmes, juste ma sensibilité à l’égard des joueurs. Je regarde les matchs, je réagis, j’échange. J’aime bien en parler avec ceux qui sont autour, avec ceux que je connais et qui sont mes amis, avec les observateurs télé ou médias.

Quelle est la relation entre le rap et le foot ?
Les deux s’adorent. Les rappeurs sont fascinés par le foot, beaucoup ont voulu devenir footballeurs, avec très peu de succès. Beaucoup te diront « qu’ils étaient à ça de devenir footballeur », c’est généralement du mytho (il se marre). « J’étais à ça que Domenech m’appelle » moi aussi, mais en division de district. A côté de ça, les footballeurs écoutent essentiellement du rap. Surtout la nouvelle génération des 5, 10 ou 15 dernières années. Il y a un rapport étroit où les deux domaines sont un peu attirés l’un par l’autre. C’est ça qui m’amène ici d’ailleurs…

Qui dépend le plus de l’autre ?
Souvent, on reproche aux footballeurs, dans leur image, dès qu’on les voit sur des réseaux sociaux, d’écouter du rap. De bouger, de « s’ambiancer ». On dit tout de suite qu’ils sont en train de perdre la tête, que le rap la leur fait tourner. En vrai, les rappeurs ne le montrent pas trop, mais ils sont un peu plus fascinés par le train de vie et le mode de vie que peuvent avoir les joueurs. En apparence, on a l’air de contrôler les footballeurs, mais pas du tout. Ce sont d’abord eux qui nous intéressent.


« Je prendrais la place de Mendy ou de Cyprien »

 


Il doit quand même y avoir quelques-uns de tes homologues qui sont bons au ballon, non ?

Oui, quelques-uns. Gradur n’est pas mal, j’ai déjà joué avec lui. Sefyu aussi. Par contre il y a quelques mecs qui, comme je t’ai dit, sont un peu mythos. (Rire) Je dénonce, tant pis : R.E.D.K de Marseille pourra lire cette interview, je le pensais meilleur que ça. On a fait un five un jour, il m’a déçu.

Malgré sa chanson « Simple Constat 5 » qui parle de foot ?
Ces "simples constats" sont des performances extraordinaires. C’est du Messi « rapologiquement ». Mais sur le terrain, ce n’est pas Messi. C’est correct, sans plus, je lui mettrais un C+...

Toi tu joues quoi ?
Généralement, 6 ou 8. J’observe toujours les milieux. D’ailleurs si je devais piquer la place de quelqu’un à l'OGC Nice, je prendrais celle de Papy Mendy. J’apprécie ces postes où tu peux te projeter. Enfin non, je voudrais bien mettre un peu plus de buts que lui, car je suis rappeur quand même, j’aime bien qu’on me mousse, qu’on me voit. Du coup, je dirais un peu plus comme Cyprien.

Gaucher ou droitier ?
Je casse le mythe, parce que fana de foot comme je suis, j’aurais bien aimé avoir le gauche. Pour la légende Maradona, tu vois ? Mais non. En vrai, j’écris de la main gauche, je frappe du pied droit et je suis très mauvais du gauche.

Tu es né à Kinshasa et a vécu à Paris la majeure partie de ta vie : quelle image as-tu de la ville de Nice ?
C’est assez particulier. Il y a à la fois cette image « de la Riviera », très chic, très bourge et un peu surfaite. Et puis à côté de ça, l’image des quartiers. Du coup, en n’étant pas sur la ville, on a du mal à trouver le juste milieu. J’ai donné un concert dans la maison d’arrêt il y a 5 ou 6 ans. Ça m’arrive souvent, mais là c’était la première fois. En parlant avec certains incarcérés qui venaient des quartiers, ils m’ont raconté un peu plus leur vie ici. Je me suis rendu compte que la ville compte plus de nuances qu’elle n’y paraît quand on la voit de l’extérieur. Mais c’est une ville que je considère encore comme à découvrir. Je ne peux pas avoir de certitude dessus.

Quels sont tes projets à venir ?
Cette année, j’ai passé le plus clair de mon temps à être producteur des jeunes qui cartonnent en ce moment. Je me suis beaucoup occupé de la tournée, j’ai commencé sur beIN SPORTS, j’ai fait beaucoup de choses… sauf des disques pour moi. Bientôt je pense que je vais y remédier.

C.D. (photos Y.F.)