Interview

L. Favre : « Continuer la construction »

Il a dirigé son premier entraînement niçois le 29 juin. Son premier match amical le 16 juillet. Découverte du club et du groupe, prise de repères, conception du football et vision du métier... Avant de rencontrer l'Etoile du Sahel ce vendredi, Lucien Favre a pris le temps de procéder à un large point d'étape.

Coach, pour commencer : comment s'est passée la dernière semaine d'entraînement ?
On a  de nouveau bien travaillé après le stage. La préparation continue, après on va baisser d'intensité et plus chercher de la fraîcheur, parce qu'on a encore 3 matchs derrière celui-là. La semaine a encore été difficile, on a 2 ou 3 joueurs qui vont manquer parce qu'ils sont un tout petit peu blessés, mais ce n'est pas grave. On évite juste de les prendre par précaution. On se réjouit de faire un match, car c'est toujours intéressant. Et puis personnellement, c'est la 1ère fois que je me déplace en Afrique pour jouer un amical comme coach. Je me réjouis.

Le contexte est toujours aussi difficile à Nice, une semaine après l'attentat survenu sur la Promenade des Anglais. Y pense-t-on toujours au moment de retrouver le terrain ?
Le contexte est celui-que l'on connait. C'est un choc, ça le restera toujours. Il y en a qui arrivent à vivre avec, d'autres qui y pensent encore plus à mesure que le temps passe. Nous, on se met à la place de ceux qui souffrent. C'est dur. Maintenant, nous sommes là pour jouer au foot. On aime le ballon, moi c'est ce qui me guide depuis 40 ans que je suis dans le monde pro, comme entraîneur ou comme joueur. On va se concentrer sur le jeu, mais on ne peut pas oublier.

Comment jugez-vous les premiers pas d'Arnaud Lusamba et Tassos Donis, les deux derniers joueurs à avoir rejoint le groupe ?
Ce sont de très jeunes joueurs. Arnaud a joué les derniers mois à Nancy et commençait à s'imposer en 2e division. Il a 19 ans et possède un très très bon potentiel, que ce soit technique ou de percussion balle au pied. Travailler avec ce type de joueur, c'est un plaisir. Anastasios, pour sa part, a joué en Italie (Sassuolo) et à Lugano (Suisse). Il a des qualités indéniables de prise de profondeur. C'est un joueur qui peut évoluer sur le côté ou dans l'axe, et c'est bien d'avoir des éléments flexibles. Maintenant, c'est eux qui feront la différence, car le talent, c'est 10 % de l'ensemble. Ce n'est qu'avec le travail qu'il pourra être exploité.

"Ça y va ! Et c'est bien..."

Coach, quels enseignements tirez-vous de vos 3 premières semaines de travail ?
Le groupe bosse bien. Les joueurs sont réceptifs et il y a vraiment beaucoup d'intensité, y compris dans les jeux avec ballon. C'est très intéressant. Les gars se donnent. Ça y va ! Et c'est bien. Le groupe va forcément évoluer, mais je découvre les joueurs dans certains jeux, ce qui est à corriger. Il y a aussi beaucoup de points positifs et de bonnes surprises. Je retiens surtout le positif, ce avec quoi on peut avancer.

On sent que progressivement, la machine se met en route. Des habitudes commencent à s'installer entre les joueurs et avec le staff. L'extra-sportif, en avant-saison, est-il aussi important que le terrain ?
C'est important d'avoir une ambiance saine où les joueurs peuvent s'exprimer et où ça marche bien. C'est difficile de faire avancer une équipe s'il n'y a pas de vie de groupe, si les joueurs n'en façonnent pas une. Là, il y a une bonne ambiance dans le vestiaire. Même si tout le monde a été marqué par les terribles événements de la semaine dernière.


C'est bien, car l'ambiance qui régnait par le passé a souvent été mise en lumière.

Oui. Même si certains éléments qui étaient sûrement importants dans la vie du groupe sont partis et que d'autres sont arrivés.

Il y en a aussi certains qui sont restés...
Bien sûr, et on le voit. Il y a des meneurs, ils sont plein d'humour. C'est important d'avoir des joueurs comme ça dans l'équipe.

Vous qui connaissez le foot suisse, allemand et français : les préparations sont-elles différentes selon les cultures ?
Oui. Simplement par le fait qu'en France et en Espagne, il n'y a pas de coupure l'hiver. En Allemagne, par exemple, il y a une pause, avec deux semaines de congés. C'est libre, les joueurs partent en vacances et il faut quasiment recommencer une prépa'. Ici ce n'est pas trop le cas, c'est pour ça qu'on fait beaucoup plus de courses. En Allemagne, on passait directement par 2 entraînements par jour avec le ballon, les baskets n'existaient pas. La Suisse, elle, recommence très vite, car il y a 36 matchs à disputer, mais ne joue pas aux mois de décembre et janvier, il y a une immense pause et une nouvelle préparation en hiver. Chaque pays a ses particularités. L'Angleterre a le boxing day, l'Italie, l'Espagne et la France jouent aussi très proche de Noël... Le premier match de l'année 2017 est prévu le 7 janvier, et va nous permettre de faire une petite coupure de 6 ou 7 jours. Mais d'une manière générale, on fait une préparation avec des courses car on n'aura pas le temps de les travailler cet hiver.

"Des fois, il m'arrive de ne parler qu'une minute. C'est très utile..."

En parlant de culture, quelles sont les personnes que vous avez croisées qui ont compté dans votre conception du métier d'entraîneur ?
Tous les entraîneurs que j'ai eus, avec qui j'ai toujours gardé de bons contacts. J'ai retenu ce qui était bien pour le transposer avec mes idées. Autrement, bien sûr, il y a Johan Cruyff. J'ai fait 15 jours à Barcelone avec lui en 1993, quand il était coach du Barça. Je regardais les entraînements, les équipes de jeunes. J'adorais déjà Cruyff en tant que joueur, et c'était pareil comme entraîneur, parce qu'il avait une telle personnalité... Pour jouer comme il jouait, il fallait vraiment avoir un sacré caractère, parce que c'était très offensif. Mais que c'était beau ! Tous les jeunes jouaient la même chose, le même système que la première. Maintenant, ça a évolué, on se demande si c'est une bonne chose, mais c'était magnifique.

D'autres influences vous viennent-elles à l'esprit ?
Beaucoup. Lorsque j'étais entraîneur à Echallens (1991, 3e division suisse), j'avais été trouver Raymond Goethals en Belgique et passé une journée magnifique. On avait beaucoup parlé de tactique, de jeu avec une défense à 3 : c'était passionnant. Et puis je me rappelle, on était les 2 dans un petit salon, il fumait beaucoup, c'était impossible de respirer. Mais c'est un super souvenir....

On vous voit beaucoup discuter avec les joueurs. Comment définiriez-vous « la méthode Favre » ?
Il faut un échange permanent. Des fois il y a des petites corrections, des fois des encouragements. La communication est très importante. Le joueur, il doit sentir qu'on compte sur lui ou qu'on le corrige positivement, donner des bonnes impulsions au bon moment etc.

Ça se fait également hors du terrain ?
Ah oui...

A travers des entretiens et des rencontres individuelles ?
Non, je ne les rencontre pas d'une manière formelle. Par contre, des fois, il m'arrive de ne parler avec eux qu'une minute. C'est très utile...

D'où l'intérêt d'avoir eu les joueurs « à portée de main » en stage ?
Ça nous a permis de nous connaitre plus rapidement. J'avais beaucoup vu l'équipe qui a joué la fin du dernier championnat, et il y avait des joueurs que je ne connaissais pas. Il y a aussi des jeunes qu'on a montés : Burner, Marcel et Sarr. C'est l'occasion de les découvrir, ce qu'ils font est d'ailleurs très positif.

Vous effectuez beaucoup de tactique lors des séances. Il y a quelque temps, vous aviez dit qu'aucun système ne serait plus inventé. Votre objectif est donc de créer ou d'entretenir une animation ?
Ce qui compte, ce sont les mouvements et la capacité d'être flexible, parce que maintenant, vous commencez un match en 4-4-2, les latéraux sont très hauts, le 6 s'intercale entre les 2 centraux... et vous êtes déjà dans un autre système après 5 minutes. En stage, on avait regardé dans la semaine comment évoluait la France en 98, quand il y avait Zidane : un système qui a déjà joué, en « sapin de Noël ». Ça veut dire que l'entraîneur s'était adapté aux joueurs. Il n'avait pas d'ailier-type, il a quand même mis les meilleurs : Deschamps, Karembeu, Petit – les 3 défensifs –, Zidane et Djorkaeff qui allaient où ils voulaient, en soutien de Guivarc'h. C'était un système spécial, mais on le connaissait déjà depuis longtemps. Tout comme le VM (équivalent du 4-4-2 losange ou système en diamant, ndlr) ou le marquage homme à homme aussi.

"Bien recruter les jeunes, les former et les intégrer à la 1ère : c'est la seule manière de grandir"

L'homme à homme est-il encore possible ?
Ça revient de plus en plus dans la zone. C'est une tendance. Pas au niveau du marquage mais du pressing, on va beaucoup plus sur le ballon, ce qui est bien. De toute manière, il faut s'adapter, parce qu'il y a beaucoup plus de rythme de nos jours, tout va plus vite.

Aller vite et presser haut, voilà un cocktail très important...
Si on récupère haut, on est moins loin du but, mais il faut toujours avoir les joueurs pour, des gars rapides devant et derrière. Il faut s'adapter aux meilleurs éléments qu'on a. Vous ne pouvez pas dire d'entrée : « Je veux un 4-4-2, un 3-5-2 ou un 4-3-3 ». C'est pour ça qu'on a essayé plusieurs systèmes, parce qu'on ne sait pas encore dans lequel on va jouer. L'année passée, il y avait un schéma qui correspondait aux joueurs. Là, forcément, on doit un peu attendre.

Pour l'anecdote, vous vouvoyez vos joueurs tout en apparaissant proches d'eux.
J'ai toujours fait comme ça. C'est juste une habitude... Mais bon, de toute façon, les Brésiliens, ils vous tutoient systématiquement, donc ça ne change pas grand-chose (sourire).

Vous arrivez avec un solide bagage, un CV éloquent. Le Gym est en train de grandir...
(Il coupe) De grandir et d'aller de l'avant. Le centre est en construction. Ça a déjà de l'allure. A mon avis, ça va changer pas mal de choses quand il sera achevé. C'est magnifique d'avoir fait cet investissement. Bien recruter les jeunes, les former et les intégrer à la 1ère : c'est la seule manière de grandir. Et puis là, le centre sera magnifique pour tout le monde, équipe première ou jeunes.


Vous est-il déjà arrivé de prendre en main l'équipe-fanion d'un club en pleine expansion ?

A Zurich (de 2003 à 2007), les 6 premiers mois étaient compliqués. Et puis on a fait de bons transferts et on a surtout intégré beaucoup de jeunes de l'académie. Des gamins de 16 ans. On a été champions de Suisse avec une moyenne de 21 ans, ce n'est pas facile face à Bâle et son budget d'une autre dimension. Et pourtant, on a pu aller chercher deux fois le titre en travaillant comme ça. Après, au Herta Berlin (de 2007 à 2009), ce n'était pas facile non plus. Le club était dans une situation assez chaotique, avec des hauts, des bas et des relégations : ça s'est relativement bien passé. Quant à Gladbach (2011 à 2015), l'équipe était dernière à mon arrivée et ça a bien fonctionné. On a fait 5 ans ensemble, une qualification en Champions League et 2 fois l'Europa League. Avant Zurich j'étais au Servette Genève, avant en 3e division suisse (à Echallens et Yverdon) : on était monté les deux fois. Chaque club a ses différences. Des fois ça se passe bien, d'autres c'est plus difficile.

Quid de l'OGC Nice ?
Nice est un club qui tente de stabiliser l'équipe dans le haut du classement. Après, on peut se demander ce que veut dire exactement « le haut ». On voit que c'est toujours compliqué de se situer, les 4 dernières années du club (deux 4es places, une 11e et une 17e) le prouvent. Si on peut chercher une stabilisation dans cette bonne partie sur le long terme, c'est bien. Je pense que c'est possible, car le projet est là. Il faut continuer à recruter des jeunes de la région, les former et les intégrer. Sans les produits de l'académie, c'est trop difficile de rivaliser avec d'autres.

En Allemagne, aviez-vous également à disposition des centres de formation susceptibles d'approvisionner l'équipe pro ?
Au Herta non, il y avait une belle académie mais pas de joueurs susceptibles d'intégrer la première, ce qui est embêtant. D'où l'importance qui était attachée au recrutement. A Gladbach, on a sorti régulièrement un ou deux jeune(s) par année, et c'est déjà pas mal.

Le centre niçois est réputé...
Oui, et il le sera encore plus avec le nouvel outil de travail. Il y a presque partout des jeunes de bon niveau, il faut les trouver, les convaincre, les intégrer et bien les former. Ça prend parfois des années, mais c'est un beau challenge, et le nouvel outil renforcera l'attractivité de l'académie.

L'arrivée de nouveaux investisseurs, la vôtre, l'Europe, l'éclosion de certains jeunes la saison passée : le Gym sera désormais particulièrement attendu...
Ça dépend par qui. Tout le monde connait très bien la situation, que ce soit les autres clubs ou nous-mêmes : il y a eu des départs, le Gym sera différent de celui de l'an passé. Mais on est tous là pour continuer la construction. La Coupe d'Europe, on devra la faire à fond. C'est très difficile de sortir dans les 2 premiers d'un groupe d'Europa League, mais il faudra essayer de tout mettre en oeuvre pour. Maintenant, il faut aussi un effectif pour jouer le jeudi et le dimanche, de mi-septembre à mi-décembre, ce n'est pas possible de figurer sur tous les tableaux avec un contingent restreint. C'est très important d'avoir un bon cadre, parce qu'il faudra souffler.

C.D.